Ces confidences avaient été faites par Paul Delouvrier au cours d’un entretien qu’il avait eu avec l’historien Daniel Lefeuvre, le 10 novembre 1983. Ces révélations n’ont été mentionnées depuis qu’à deux reprises dans une revue scientifique confidentielle et lors d’un colloque de spécialistes, mais n’ont jamais fait l’objet d’une communication auprès d’un public plus large, relève Daniel Lefeuvre, professeur d’histoire à l’université Paris-VIII et spécialiste de l’histoire économique de l’Algérie dans un hors-série de ”Science et Vie”, à paraître lundi.
Dans ces confidences, dont le mensuel publie de larges extraits dans un dossier consacré à la guerre d’Algérie, Paul Delouvrier détaille les conditions dans lesquelles il a été nommé en décembre 1958 délégué du gouvernement en Algérie, chargé de l’organisation d’un plan de développement dit de Constantine. « Quand je suis parti, que j’ai accepté donc de remplacer (le général) Salan, le général de Gaulle m’a dit: ”Vous allez réfléchir, il faut aller très vite, mais il faut que vous ayez quelque chose dans votre bissac”, rapporte Paul Delouvrier.
L’ancien haut-fonctionnaire explique qu’il a demandé -et obtenu – « un milliard de francs lourds par an (…) pour sortir le gaz du Sahara et l’amener à la côte ». « Pourquoi les tuyaux n’ont pas été transpercés? C’était facile avec les fellaghas. Simplement parce que je me suis entendu avec Tunis », où siégeait le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), selon Paul Delouvrier.
« Et le gaz est sorti parce que je me suis entendu pour que jamais les fellaghas ne le touchent », selon l’ancien représentant français à Alger, ajoutant que les compagnies pétrolières « ont arrosé suffisamment (…) des gens qui, après, allaient acheter des armes pour tuer des Français ». Gazoducs et oléoducs n’ont effectivement jamais fait l’objet d’attentats après leur mise en service en 1958-59 entre les gisements de Hassi Messaoud (pétrole) et Hassi R’Mel (gaz), a expliqué à l’AFP le Pr Lefeuvre. « Les principales installations étaient protégées par l’armée française, mais il était impossible d’assurer une protection sur les 650 km du parcours », a-t-il dit. Selon cet universitaire, Paul Delouvrier, qui était en 1983 président de la Cité de la Musique à la Villette, « n’avait aucune raison de travestir la vérité », alors qu’il était en fin de carrière. L’ancien grand commis de l’Etat, décédé en janvier 1995, n’a jamais évoqué, par la suite, cet épisode de la guerre d’Algérie.