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Adonis : Un destin miraculeux

© D.R

Pour conclure cette analyse, je dirai que, dans la métaphore, ce n’est point l’apparent qui parle mais le caché lui-même. Ce n’est pas l’image qui écrit, c’est le sens. Le mystique devient, dans la métaphore, objectivement Autre. Ce n’est donc plus lui qui énonce le sens et qui le traduit en image : c’est le sens lui-même qui énonce et écrit l’image. Ce n’est pas le mystique qui pense et qui écrit, il est pensé et il est écrit. Cette expérience est celle que visera plus tard Rimbaud lorsqu’il dira : « C’est faux de dire : Je pense. On devrait dire : on me pense».
Soutenu par la force de la métaphore et par sa langue, le mystique crée son monde «idéal», un monde sensible et perceptible par l’imagination, vécu comme un ensemble d’événements propres à une histoire intérieur, entre l’apparent et le caché, est semblable à un miroir à double face qui permet de saisir les événements intérieurs les plus profonds. Elle opère une telle fusion entre le sensible et le non-sensible que la dimention univoque de l’extériorité pure ne saurait en aucun cas servir de référence pour permettre au sujet, comme c’est le cas dans la figure classique de la conscience, de se poser en s’opposant à l’objet.
C’est la fusion entre le sujet et l’objet, le mouvement même par lequel s’objective l’événement spirituel intérieur et par lequel l’extériorité du monde ne saurait être comprise indépendamment de l’expérience du Moi, en relation avec l’absolu du sens, qui est au coeur du processus créateur à l’oeuvre dans l’expérience mystique. Par l’imagination créatrice, lieu d’échange incessant entre le sensible et le non-sensible, le macrocosme (le monde) se concentre dans ce microcosme qu’est l’homme.
L’imagination créatrice rend transparent le corps qui, était à la fois une partie du monde matériel et le lieu premier de l’expérience mystique, devient alors lui-même cet « autre monde » atteint par le savoir nouveau.
Le corps du mystique produit une structure imaginaire du lieu, il reconstruit le lieu extérieur à sa propre image, et le monde reflète désormais l’expérience mystique et lyrique dont le siège ne saurait être seulement l’intériorité. L’imaginaire reconstruit le monde extérieur à l’image intérieure de celui qui crée.
Devenu transparent sous l’action de l’imagination créatrice, le corps, le microcosme, est vécu comme le champ originel du monde possible.
En tant que schéma désormais purement imaginaire, le corps anticipe l’univers, devient l’a priori de tout lieu ; corollairement, le mystique développe en lui le macrocosme, l’accueille au-dedans de son corps. L’un et l’autre conservent un lien intime : tel est le processus de transformation du corps auquel s’abandonne le mystique.
En tant que fondement et origine de son expérience, le corps métaphorique réunit en lui l’idéal et le réel. L’homme devient l’unité de l’idéal et du réel. Son corps est le lieu de toutes les transformations possibles du monde sensible.
Cette réflexion de l’intérieur vers l’extérieur constitue de fait un déplacement du savoir relatif à la présence objective ; dans le nouveau savoir qu’engendre la perception imaginaire, les secrets de l’univers se dévoilent : ils se révèlent à l’imagination créative alors qu’ils sont à jamais inaccessibles aux méthodes positivistes.
Pour le mystique, le monde de l’idéal n’est plus un monde imaginaire ou illusoire ; il se manifeste au contraire tel qu’il est : un monde ancré au coeur des apparences mais voué à transformer celles-ci. Dans ce monde idéal, le spirituel prend corps et le corporel se spiritualise. Seul l’oeil de l’imaginaire peut percevoir une telle transformation réciproque. Ici, le mystique est à la fois subjectivité et altérité : les contradictions, dès lors, s’effacent, et le monde sensible devient la présence même de l’Un.
De l’union entre le vrai et le métaphorique émane la poésie de l’écriture mystique, qui, en raison de ce que j’ai dit sur la transformation du corps par cette écriture, reprend en la transformant la langue de l’érotisme. « Chaque battement de mon coeur porte la marque de l’Aimé et dans chaque partie de mon corps parle l’Aimé » (Jalâl al-Dîn al-Rûmî.)
Le monde dans toutes ses manifestations ne vit que comme manifestation de l’Un ; il n’est pas d’existence en dehors de l’Un. À l’intérieur de cette unicité, l’immanence n’exclut point la transcendance.
On peut comprendre de façon analogue la fusion des contraires et la recherche du « point suprême » dans l’expérience surréaliste.
Le savoir auquel accède le mystique ne se laisse définir d’avance par aucun critère rationnel, il est entièrement libre. La perception imaginative appréhende les choses dans leur totalité et sous leur forme originelle: elle est un savoir de l’indescriptible et parvient à saisir l’indicible.
Le lieu qu’elle définit est plus vaste que la perception positiviste, prisonnière des limites spatio-temporelles, du temps mathématique et d’une conception quantitative de la matière.
Dans l’imagination créatrice, le sensible et le non-sensible se transforment.
Le sensible est habité d’un mouvement ascendant, telle est la dialectique de la rencontre entre l’amour charnel et l’amour spirituel, qui engendre l’amour mystique, point de fusion des deux.
Cet amour conduit à un état de « conscience suprême» ou d’«existence suprême » dans lequel les deux amants s’unissent en oubliant toute limite.
Le mystique se sent libéré : il n’est rentré en lui-même que pour mieux s’échapper, il sort de lui-même et se soustrait aux limites naturelles de la sensation purement corporelle.
L’expérience de l’amour est donc une expérience de connaissance ; elle délivre au mystique un savoir non rationnel sur les secrets de l’univers et de l’existence.

• «Adonis le visionnaire»,
Michel Camus, Edition du Rocher,
14,94 euros

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