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Des lettres persanes concernant le Maroc (11)

Pendant mon séjour «à Maroc», j’étais prêt à me convaincre du danger qu’il y avait de s’approcher de ces saints en démence, j’ai vu que leur grand plaisir était d’insulter les chrétiens.
Je ne dois pas oublier les marabouts, qui sont les premiers saints de Maroc. Cette classe d’imposteurs prétend être fort habile en magie ; elle jouit d’une grande considération parmi les natifs du pays. Les marabouts mènent une vie de fainéants, vendent des sortilèges, et s’enrichissent aux dépens du peuple.
Il y a encore des montagnards ambulants qui se disent les favoris de Mahomet. Aucune bête venimeuse n’oserait les attaquer. Les plus singuliers de ces gens-ci sont les mangeurs de serpents, qui se donnent en représentation les jours de marché. Le peuple se porte en foule pour les voir avaler des serpents vivants. J’ai pris ma part de cet horrible spectacle. Je vis un homme qui, en moins de deux heures, avala un serpent en vie de plus de quatre pieds de long. Il dansa tout le temps de ce repas dégoûtant, au son d’une musique vocale et instrumentale, dans un cercle que formaient les spectateurs. Avant d’attaquer son serpent, il fit une courte prière, qui fut répétée par tous les assistants. Il commença à manger l’animal par la queue, et les curieux ne s’en furent que quand il l’eut entièrement dévoré.
J’arrivai de bonne heure, dans la soirée du 5 octobre, à Mehdia, qui est à soixante-quatre milles de Larache.
Cette ville est située sur une colline, à l’embouchure de la rivière de Saboc, qui se jette en cet endroit dans l’océan Atlantique, et forme un havre pour les petits bâtiments. Mehdia a beaucoup de ressemblances avec les autres villes de l’Empire de Maroc. Quand elle appartenait aux Portugais, elle était entourée d’une double enceinte de murailles, dont on voit encore les ruines. Elle avait dans ce temps-là quelques fortifications, qui sont également détruites. La seule défense qui lui reste à présent consiste dans un petit fort sur le bord de la mer.
J’ai déjà parlé des lacs, des belles plantations et des gras pâturages qu’on rencontre sur cette route. Tout cela se trouve réuni à Mehdia ; ce qui en rend les approches enchanteresses. Ce serait le pays le plus délicieux de la terre, si on n’y vivait pas sous un gouvernement oppressif.
Le 6 octobre, à huit heures du matin, je me remis en marche pour aller à Salé, où j’arrivai à deux heures de l’après-midi. Le chemin de Mehdia à Salé est très beau. Il passe entre deux montagnes qui se terminent en pentes douces sur les côtés de la route.
A un quart de mille de Salé, je vis un ancien «aqueduc», les gens du pays disent qu’il a été fait par les Maures ; mais je le croirais plutôt des Romains. J’y ai reconnu le goût de leur architecture. Le mur de cet aqueduc, qui est fort élevé, et d’une épaisseur prodigieuse, a environ un demi-mille de long. On y voit trois grandes arches ; je passai sous une de ces arches avant d’arriver à Salé. Quoique le temps ait fait sentir sa main destructive à quelques parties de cet aqueduc, cela ne les empêche pas de servir encore à apporter de l’eau excellente à Salé.

Chapitre III
La ville de Salé a été si fameuse autrefois que plusieurs romanciers en ont parlé dans des contrées agréables ; mais ce qui l’a rendue plus célèbre, ce sont ces terribles pirates qui partaient de son port pour balayer la mer, et qui n’étaient que trop connus sous le nom de pirates de Salé. Ces écumeurs de mer furent longtemps la terreur du commerce de l’Europe. Aussi redoutables par leur audace que par leur barbarie, ils s’étaient rendus maîtres de l’océan, et avaient quelquefois la témérité d’étendre leur brigandage jusque sur les côtes. N’ayant d’autre but que le pillage, ils entreprenaient les choses les plus hardies pour se procurer un butin considérable. La vie n’était point épargnée par ces brigands. S’ils ne tuaient pas toujours ceux qui avaient le malheur de tomber entre leurs mains, ce n’était point par un sentiment d’humanité ou de compassion, mais seulement pour en faire les esclaves du luxe et du caprice de quelque Africain.
Quoique la ville de Salé soit grande, elle n’a rien qui puisse satisfaire la curiosité du voyageur. Elle est défendue par une batterie de vingt pièces de canons, qui fait face à la mer. Il y a aussi une assez bonne redoute à l’embouchure de la rivière.
La ville de Rabat est située sur la rive opposée. Ces deux cités étaient anciennement réunies pour commettre toutes sortes de brigandages.
Généralement on les confondait. A l’époque où les villes de Salé et Rabat se faisaient craindre par leurs pirateries, elles étaient indépendantes ; elles payaient seulement un mince tribut à l’Empereur, qu’elles voulaient bien reconnaître pour leur souverain. Cet état d’indépendance, dont jouissaient des aventuriers audacieux, n’était dû qu’à leur courage extraordinaire.
Peu d’hommes se soucient de courir d’aussi grands dangers pour acquérir une pareille liberté, qui ne procure aucun bien réel, et qu’il n’est pas même possible de conserver.
Sidi Mahomet, dernier Empereur mort, conquit ces deux villes. Ce fut un coup mortel pour ces pirates, quand ils perdirent l’espoir de jouir tranquillement des captures qu’ils faisaient ; l’Empereur a mi fin à ces horreurs, en les réprimant avec sévérité, et en les dénonçant à toute l’Europe.
Depuis que les brigands de Salé sont rentrés dans le devoir, le port s’est comblé de telle sorte que, même s’ils recouvraient leur ancienne indépendance, il leur serait impossible de reprendre, avec quelque succès, leur métier de pirate.
J’avais une lettre de recommandation pour M. du Rocher, consul de France, établi à Rabat. En me rendant chez lui, je fus témoin d’une querelle terrible entre mon interprète et mon muletier, au sujet de mon bagage.
Ils n’avaient pas été d’accord sur la manière de le transporter chez le consul français. Des injures, ils en vinrent aux coups, ce qui m’obligea à imposer mon autorité, afin d’empêcher que la scène ne se finisse d’une manière tragique. Lorsqu’ils furent un peu calmés, je fis punir sévèrement mon muletier par un soldat maure, qui lui appliqua, d’un bras vigoureux, de grands coups d’une courroie qui lui servait de ceinture. La correction fit bientôt tomber le coupable aux genoux de mon interprète et aux miens, pour nous demander pardon à l’un et à l’autre. L’ayant fait fouetter plutôt pour m’en faire craindre que pour venger le Juif, qui avait peut-être autant de tort que lui, n’eus pas de peine à lui faire grâce ; mais comme j’avais été souvent importuné dans leurs différends avant cette querelle, je ne fus pas fâché d’en profiter pour les rendre plus sages.
M. du Rocher, qui habitait une jolie maison bâtie aux frais de sa nation, était le seul Européen qui demeurât à Rabat. Ce consul aimable savait allier la franche cordialité anglaise avec cette politesse aisée qui caractérise le Français.
Il me pressa avec tant d’insistance de passer deux jours avec lui, que, malgré les raisons que j’avais de ne point m’arrêter, je me laissai aller à son invitation.
La ville de Rabat est entourée d’une grande muraille, et défendue par trois forts qu’un renégat anglais a fait construire : ces forts sont garnis de canons qui ont été apportés de Gibraltar. Les maisons de cette ville sont en général bien bâties. On y trouve quelques habitants riches.
Les Juifs, qui sont nombreux dans cette ville, jouissent d’un meilleur sort que ceux de Larache et de Tanger. Leurs femmes sont beaucoup plus jolies que toutes celles que j’ai vues dans les autres villes de Barbarie.
Pendant le court séjour que j’ai fait à Rabat, je fus reçu dans une maison où il y avait huit filles ; toutes si jolies, qu’on était embarrassé à laquelle donner la préférence : elles avaient des traits réguliers, un teint de lys et de rose, avec des yeux noirs fort expressifs. La parure dont les dames européennes se servent pour augmenter leurs charmes leur était inutile ; l’art n’aurait pu leur donner plus de grâces et de moyens de séduction. Le château de Rabat est très considérable.
Dans l’enceinte de ses murs un grand bâtiment qui servait à l’Empereur Sidi Mahomet de trésorerie principale. On y voit aussi une belle terrasse d’où l’on peut découvrir la ville de Salé, l’océan, et une grande étendue du pays.
On dit qu’un ancien château en ruine, qui se trouve à Rabat, a été bâti par Yacoub Al-Mansour, un des premiers Empereurs du Maroc : il n’en reste que les quatre murailles, dont on a tiré parti pour faire un magasin de poudre et y retirer quelques autres munitions de guerre. En dehors du château une tour carrée bâtie en belles pierres de taille. Les Maures la nomment la tour de Hassan, à cause de son extrême grandeur. Leur admiration pour ce nouvel édifice, qui n’a rien que de fort ordinaire, prouve combien ils ont dégénéré de leur ancienne splendeur, et perdu le goût de la belle architecture.
M. du Rocher me présenta à Sidi Mohamed-Effendi, ou Premier ministre de l’Empereur, qui passait par hasard à Rabat le jour où je m’y trouvai ; il allait à Tanger. L’accueil qu’il me fit fut fort honnête. Lorsqu’il sut que j’étais médecin, il me pria de lui tâter le pouls, et de lui dire ce que je pensais de sa santé. Lorsque je l’eus assuré que je la croyais très bonne, il me remercia avec de grandes démonstrations de joie ; après quoi il partit pour Tanger.
Je profitai du peu de temps que je passais à Rabat pour changer mon mulet estropié. Mes deux soldats nègres s’occupèrent à remettre de l’ordre dans mon équipage.
Tout fut prêt pour mon départ après deux jours de repos. M. du Rocher, qui m’avait si bien reçu, me combla, en faisant charger mes mulets d’une ample provision de pain, qui est remarquablement bon à Rabat , il ajouta à cette attention une grande quantité de viande froides, et beaucoup plus de vin que nous n’eussions dû raisonnablement en porter avec nous.
Toutes ces provisions me durèrent trois jours, ce qui donna le temps à mon appétit de reprendre du goût pour les poulets dont j’étais rassasié.
Les moments agréables que je venais de passer à Rabat, bien capables de me faire oublier les premières fatigues de mon voyage, eurent un effet tout contraire.
La crainte de retomber dans les mêmes embarras, sans pouvoir compter sur les secours de personne, me rendit plus à plaindre qu’avant de m’être rafraîchi et délassé chez le consul de France.

• Par William Lemprière
Voyage dans l’empire de Maroc et au Royaume de Fez

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