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Des lettres persanes concernant le Maroc (14)

Presque en sortant de Safi, je rencontrai une grande montagne fort difficile à monter à cause des rochers escarpés dont elle est remplie. Les précipices, qui m’environnaient de toutes parts, étaient bien capables de frapper mon esprit de crainte et de terreur. Cependant, nos mulets, accoutumés à ces sortes de chemins, nous portaient, sans faire un faux pas, dans les sentiers les plus raboteux. Si nous eussions monté des chevaux européens, notre vie aurait été fort en danger.
Après avoir passé cette montagne, qui est d’une élévation prodigieuse, j’entrai dans une forêt de chênes nains, longue de six milles. Cette forêt est fermée au Sud par la rivière de Tensift, dont le courant augmente considérablement pendant les grandes pluies et lorsque la marée monte. Dans ces deux cas, on la traverse sur des radeaux : je n’eus point cet embarras, l’eau se trouvant assez basse au moment où j’y arrivai, pour pouvoir la passer à gué.
En avançant au Midi, je découvris un grand château au milieu de la forêt ; mes soldats m’apprirent qu’il avait été bâti par Moulay-Ismaïl, immortalisé par la plume d’ ”Addision”. Sidi Mahomet l’a tellement négligé, qu’il tombe en ruine. Le cours du Tensift, ses circuits multipliés, et le château dont je viens de parler, qu’on aperçoit du même coup d’oeil, produisent un tableau un peu sombre, mais singulier et pittoresque.
Les instructions que j’avais reçues de M. Matra étaient que j’attendrais à Essaouira le retour du messager qu’il avait envoyé à Taroudannt pour informer le prince de mon arrivée ; ainsi je m’y fixai jusqu’à ce qu’il plût à cet illustre malade de m’appeler auprès de lui.
Avant de parler d’Essaouira, je crois à propos de faire une courte revue des différents endroits par où je suis passé depuis mon départ de Tanger.
Les environs de Larache que j’ai vus les premiers sont remplis de rochers et de montagnes. On trouverait à peine un arbrisseau de Larache à Salé. De Salé à Essaouira et à Agadir, ce sont les mêmes rochers, les mêmes montagnes et la même stérilité que dans les environs de Larache. On ne voit dans les forêts que les espèces d’arbres qui ne s’élèvent jamais fort haut ; tels que l’argania, le chêne nain, le palmier, etc. le pays ne produit point de bois de charpente ; les Maures sont obligés de venir en chercher en Europe. C’est peut-être parce qu’il n’y a point à Maroc de bois de construction, de l’Empereur a si peu de vaisseaux, et qu’il est obligé d’envoyer ses galères dans les ports étrangers pour les réparer.
La végétation n’étant dans toute sa force en Afrique qu’après les grandes pluies, il ne m’a pas été possible, pendant la saison où je voyageais, d’observer quelles plantes étaient particulières au pays.
Suivant l’opinion de tous les voyageurs, on ne pénètre point à l’intérieur de ces contrées barbares, à cause des bêtes féroces dont on appréhende les attaques ; cependant, je dois dire, pour rendre justice à la vérité, qu’il y a moins de dangers qu’on ne l’imagine. Pendant tout le chemin que j’ai fait pour aller à Essaouira, et même sur le mont Atlas, je n’ai rencontré ni tigres, ni lions, et l’on m’a assuré qu’on en voyait très rarement. Ces animaux féroces se tiennent cachés dans les montagnes et hors de la portée des hommes.
Essaouira, ainsi nommée par les Européens, et Suéra par les Maures, est une grande ville bâtie avec régularité ; elle est à trois cent cinquante milles de Tanger, sur le bord de l’océan Atlantique. Les environs sont tristes et couverts de sable: elle a été commencée sous le règne de l’Empereur Sidi Mahomet qui, à son avènement au trône, ordonna à tous les négociants européens qui étaient dans ses Etats, de s’établir à Essaouira. Il tâcha de les y encourager en diminuant les droits du commerce. Les Européens, séduits par cette marque de bienveillance, quittèrent leurs premiers établissements et en firent de nouveaux à Essaouira ; mais les avantages qu’ils comptaient retirer de ce déplacement ne furent qu’illusoires. L’Empereur ne tint aucune de ses promesses. Les taxes augmentèrent au lieu de diminuer : le contrecoup de cette mauvaise politique s’est fait sentir au commerce qui est languissant à Essaouira.
Cependant, de meilleures vues de la part du successeur de Sidi Mahomet, et surtout les présents considérables que les négociants européens lui ont faits, ont produit quelques bons effets ; mais les taxes sont toujours énormes, et si multipliées sous toutes sortes de formes, qu’il ne me serait pas possible de dire avec certitude ce qu’on paye dans ce port sur chaque article de commerce. Le comptoir d’Essaouira est composé d’une douzaine de maisons de différents pays. Les négociants ne sont point troublés dans leurs spéculations commerciales. Il est vrai que la tranquillité dont on les laisse jouir leur coûte cher. Ils ont besoin de se tenir à une grande distance des Maures. Ils exportent des mulets pour l’Amérique, et envoient en Europe du cuir de Maroc, toutes sortes de peaux, de la gomme arabique et ”sandaraque”, des plumes d’autruche, du cuivre, de la cire, de la laine, des dents d’éléphant, des dattes, des figues, des raisins, des olives, des huiles, de belles nattes et de superbes tapis, etc. Ils échangent ces marchandises pour des bois de construction, de la poudre, des canons, des draps, des toiles, du plomb, du fer en barre, toutes sortes de quincaillerie et de colifichets, comme miroirs, tabatières, montres, petits couteaux, etc., du thé, du sucre, des épices et autres objets que cet Empire ne produit point.
Les Maures ne se bornent pas seulement à commercer avec les Européens, ils trafiquent aussi avec la Guinée, Alger, Tunis, Tripoli, le grand Caire et la Mecque, par le moyen de leurs caravanes, dont j’aurai bientôt occasion de parler. La ville d’Essouira est bien fortifiée du côté de la mer. Elle n’a, du côté de la terre, que quelques batteries de canons pour se garantir des incursions des Arabes du Midi, qui ne sont jamais tranquilles, et qui, avec la connaissance qu’ils ont des richesses renfermées dans Essaouira, seraient fort aises de la piller. On n’entre dans cette ville qu’en passant sous de grandes voûtes de pierre, où les portes sont placées ; la place du marché est entourée de portiques ; elle est régulière et bien bâtie ; la douane et les magasins sont de beaux bâtiments sur le port.

• Par William Lemprière
Voyage dans l’empire de Maroc

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