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Hamid Bouchenak : Retour en force

© D.R

ALM : Vous avez marqué toute une génération de Marocains tant par votre voix que pour la qualité de votre travail. Mais vous avez cependant marqué une absence sur la scène marocaine que d’aucuns regrettent. A quoi est due cette absence ?
Hamid Bouchenak : Mon absence est due à l‘organisation. Il n’y a pas de moyens d’organiser et de donner des concerts dignes de ce nom au Maroc. Ce n’est pas une question de moyens, mais de capacité d’organisation. On a souvent annulé des événements soit pour des raisons techniques, soit tout simplement par absence de «confort» à l’égard de l’artiste. Quand on est sur scène, on est dans notre arène, notre terrain de jeu. Et la moindre des choses, c’est qu’on y soit bien. Même les artistes qui viennent au Maroc remarquent cette absence de moyens et de confort. Le problème c’est que nous disposons de salles, des lieux où des concerts peuvent être donnés et réussis. Nous avons tout sauf de vrais concerts.
Serait-ce la seule raison qui vous ait poussé à vous expatrier ?
C’est en partie pour cela que j’ai dû m’installer en France, depuis 1995. Mais vous savez, l’artiste a surtout besoin d’être respecté. Mais dans notre société, être artiste n’est pas encore considéré comme un métier à part entière. C’est toujours quelque chose de folklorique qui s’arrête à l’amusement dans un cadre familial. J’ai vécu cette situation. Quand j’étais petit, ma grand-mère me disait tout le temps que je devais laisser de côté la musique et le chant pour me consacrer à «un vrai métier», en fabriquant et en vendant quelque chose. Mais je me suis battu pour ma passion. Un certain moment, la question sur l’étape suivante qu’il faut franchir se pose. Créer, donner du plaisir, marquer toute une génération, vendre des albums, mais que faire après ? C’est la où la limite apparaît. On a le choix entre se recycler ailleurs ou végéter et ce contenter du peu que l’on nous offre. La décision de partir en France a émané du fait que je ne sais rien faire à part jouer de la musique et chanter. C’est ma passion. Maintenant, j’essaye de faire honneur à la musique marocaine à l’international.
Vous vous apprêtez à lancer votre nouvel album «Moussem». Quelle est l’explication du choix du titre?
Un moussem, c’est par définition un festival, une saison, un rendez-vous pour tout le monde. Un espace, un carrefour où la race, la couleur, la nationalité n’ont pas droit de cité. Quand on y est, on s’adapte. L’album est en lui-même un moussem. J’y reprends des sons des moussems, de la «tbourida» aux musiques propres à chaque région. En écoutant le titre «Moussem», inclus dans l’album du même nom, on se croirait dans un moussem.
Marquant un tournant dans votre carrière, «Moussem» est également au carrefour de la musique marocaine et européenne. Que représente pour vous la musique marocaine ?
Quand on est loin du pays, d’autres sensations et sentiments émergent. On devient particulièrement fier de notre pays, jaloux de ce qu’il recèle comme patrimoine et culture. L’album contient nombre de chansons du patrimoine marocain. Un patrimoine qui est pour moi une source où je imprégne de ma propre identité. C’est mon bagage. Dans «Moussem», j’évoque également certains événements ayant marqué le Maroc ces dernières années, comme le 16 mai 2003, à travers des titres comme «Matqich Bladi».
Quelle a été votre démarche afin d’éviter les choix faciles comme la fusion pour la fusion, au risque de porter atteinte à la musique marocaine ?
Les gens qui ont du mal à faire fusionner la musique marocaine, c’est surtout pour les influences qu’ils ont subies. On peut très bien être influencé par telle ou telle musique, mais de là à la recréer, c’est une autre paire de manches. C’est ce qui justifie les choix faciles comme les boîtes à musique. Dans la préparation de mon album, surtout le titre «Moussem», j’ai dû plonger pendant plus d’une année et demie dans l’étude du patrimoine marocain et les différents moussems qui ont lieu au pays. A cela s’ajoutent plusieurs voyages que j’ai effectués à travers plusieurs moussems. Je n’ai jamais autant lu de ma vie que lors de la préparation de cet album.
Comment une expérience aussi riche que celle de Hamid Bouchenak peut-elle profiter aux jeunes talents marocains ?
Ce qu’il faut, c’est du professionnalisme. Il faut qu’on se débarrasse de la vision selon laquelle la musique, est juste pour le fun. Ce qui est sûr, c’est que les talents ne manquent pas au Maroc. Etant membre du jury de «Studio 2M», au niveau de Paris, je peux vous dire qu’on avait du mal à choisir les candidats, tellement il y avait de jeunes talentueux et avec de très belles voix. Parfois, l’émission prenait des dimensions beaucoup plus larges que ce qui était prévu initialement. C’est dire qu’il existe une jeunesse talentueuse incroyable. A ces jeunes, je dis qu’ils ont de la chance. Moi, j’ai dû commencer, et à l’âge de cinq ans, dans des fêtes de mariages. Et comme je devais me coucher tôt, je devais passer la nuit là où la fête avait lieu. De cinq ans à neuf ans, j’ai dû dormir dans toutes les maisons où il y avait des mariages dans toute la région. Je me rappelle d’ailleurs qu’un soir, alors que j’étais «sur scène», quelqu’un qui a bu plus d’une bouteille, est venu dans ma direction. Alors que j’étais en train de chanter, le col de ma chemise plein de billets d’argent, et sans piper mot, il m’a donné une gifle tellement puissante que je suis tombé dans les pommes.
Mes frères ont tous réagi et la fête a failli être gâchée. On voulait juste savoir pourquoi. Et le gars de dire que je chantais tellement bien, que j’étais tellement mignon, que je lui plaisais tellement qu’il n’a pu résister à la tentation de me flanquer la gifle de ma vie. c’était ça ma récompense (rires) Mais le seul fait d’avoir un public, m’emplissait de joie. Maintenant, les jeunes ont l’occasion de briller. Moi, tout ce que j’espérais, c’était que quelqu’un se marie.
Ces initiatives sont certes de nature à encourager l’émergence de chanteurs et artistes de qualité. Mais qu’en est-il de l’industrie musicale capable d’accompagner cette émergence ?
Le piratage, les droits d’auteur, être inscrit au bureau. Les jeunes ne savent rien de leurs droits d’artistes. C’est honteux. Tout cela parce qu’il n’existe pas de bonne gestion de la chose artistique au Maroc. Parce que les jeunes ignorent tout de leurs droits. Les éditeurs de musique et les distributeurs sont pour la plupart plus des épiciers qu’autre chose.
Tant qu’on mélange les cassettes avec du «henneh» et de la toilette à bas prix, on ne peut pas s’attendre à une véritable émergence de l’industrie de musique. A mon avis, il faut étudier le marché et baisser les prix. Mais cessons de «vendre les artistes par terre». Il n’y a qu’à voir ce qui se passe à Derb Ghallef. Plus qu’un centre d’activités informelles, ce marché renseigne à plus d’un égard sur les tendances du marché marocain. Sur ce que veulent les Marocains. Pourquoi ne pas vendre des produits propres, bien faits, mais abordables au même titre que ceux du marché informel ? Pourquoi les gens qui ont de l’argent n’investissent pas ce terrain? Pourquoi ne pas prendre des licences et adapter le produit final à la réalité du marché marocain?
Pourquoi ne pas prospecter cette piste, la professionnaliser ? Il ne faut ni en vouloir aux gens qui s’adonnent à cette activité, ni aux clients. C’est à d’autres de faire le nécessaire.

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