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Le Maroc de Lyautey à Mohammed V (4)

© D.R

Mais, heureusement d’ailleurs, le cloisonnement presque étanche préconisé entre les quartiers de plaisance à l’ouest, l’administration, les loisirs et les plaisirs au centre et l’industrie à l’est sera atténué par la pratique des habitants. Prost réussira mieux à Rabat et dans les villes de l’intérieur, où l’administration pouvait imposer son schéma urbain à des colonies françaises moins compactes, moins effervescentes et moins marquées par la frénésie de la spéculation immobilière qu’à Casablanca. Au plus fort du premier boom de la construction, à la fin des années 1920, les joueurs à l’immobilier achetaient des terrains nus en bordure des voies du plan Prost selon la procédure du droit commercial avec "option" et "endos" et jouaient avec ces papiers à la hausse, en se les refilant sans construire. On cite des exemples de lots ayant été l’objet dans la même journée de plusieurs ventes, les intermédiaires se réglant entre eux les différences de cours.
A Rabat, le Washington du Maroc – pour céder au cliché en vogue autrefois – l’équipe résidentielle aboutit à une réussite qui s’imprime encore aujourd’hui dans le paysage du centre-ville. Casernes, quartiers industriels et populeux, s’étalent le long du Bou Regreg et de l’Océan, de part et d’autre de la médina. L’usine administrative de la Résidence se love sur l’acropole de la colline des Touarga.
Les instituts scientifiques et les bibliothèques se juchent sur la terrasse du quartier de l’Aguedal. Entre ce succédané de colline Sainte-Geneviève et l’épicentre du Protectorat, le palais royal et son mechouar s’interposent avec une visibilité maintenue avec ostentation. Le palais est le débouché, et donc le couronnement architectural, de l’avenue du dar el Makhzen taillée majestueusement au centre de la ville nouvelle en bas d’une sorte d’amphithéâtre, au sommet duquel se perchent la Résidence et, en contrebas, le Palais royal. La ville neuve, innervée par des boulevards qui confèrent à Rabat la dimension d’une ville néo-impériale, se niche dans la verdure et escalade avec grâce cet amphithéâtre qui conduit de la médina aux Touarga, de façon à préserver partout la vue sur la ville ancienne et l’océan qui miroite à l’horizon. "Beaucoup d’air,, de lumière, les maisons, les palais, la Résidence, les casernes, lycées, tribunaux, hôpitaux spacieux style du pays, toits en terrasses, mais sans uniformité. Tout autour, des jardins, des océans de fleurs qui se succèdent toute l’année …une ville jardin" préconisaient les directives résidentielles de 1915. Elles ne restèrent pas lettre morte. Penser la ville neuve suppose, en troisième lieu, d’habiller sa carcasse avec des bâtiments qui s’inspirent du style marocain et entretiennent entre eux une unité de ton. Le Protectorat émergent forge une police des constructions et l’impose sans restrictions, ni exceptions.
On interdit de bâtir sans autorisation préalable de l’administration. Des arrêtés municipaux stipulent, pour chaque ville neuve, la hauteur maximum des immeubles, la dimension minima des cours intérieures, la taille des étages, le volume des pièces, l’équipement sanitaire de base. On veut conférer aux façades une unité de style et à chacune des villes nouvelles non seulement une unité monumentale, mais un cachet particulier: un style local.
Là surtout, les architectes des années 1910-1920 vont faire merveille, qu’il s’agisse des villas sans étage de l’époque, alliant la simplicité des lignes chère aux cubistes et ce zeste de fantaisie qui imprime son charme à la maison mauresque, ou des immeubles administratifs, dont la forme et le volume s’inspirent des édifices de l’art hispano-mauresque.
Sous les auspices du grand arabisant Evariste Lévi-Provençal et de l’historien de l’art Henri Terrasse, la Résidence opère, à la barbe des Espagnols, une sorte de capture scientifique et artistique d’Al Andalûs. Mais les architectes urbanistes de l’époque sont aussi des paysagistes et certains, comme Henri Laprade, de remarquables dessinateurs. Qu’il s’agisse de la poste de Rabat, du palais de justice de Casablanca et de tant d’autres immeubles d’où émane l’autorité, ils auront l’art de composer avec les normes de l’art marocain du bâti, ou le dépouillement d’inspiration berbère, qui préside à l’ensemble, compose avec le raffinement d’origine andalouse, qui orne le détail. Cet urbanisme eut le mérite de préserver, sur le champ, la médina du choc frontal avec la civilisation matérielle de l’Europe (al tamadûn) et son avant-garde humaine évoquant la faune du Klondyke ("On ne fait pas de la colonisation avec des rosaires", concédait Lyautey), tout comme de construire des villes nouvelles, où il fit bon habiter. Il n’est pas à l’abri de toute critique, non plus au-dessus de tout soupçon.

«Le Maroc de Lyautey à Mohammed V, le double visage du Protectorat»
Daniel Rivet – Editions Porte d’Anfa,
Casablanca 2004- 418 pages.

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