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Les civilisations à l’épreuve de la mondialisation (2)

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L’entrée dans le monde moderne -ou comme on disait alors, dans la civilisation-passe par l’uniformisation culturelle et par l’appropriation de la science et de la technique.
L’évolutionnisme insiste davantage sur l’identité des sociétés ou des mécanismes sociohistoriques (il pense en termes de « stades » universels) que sur les différences entre civilisations. Il postule un déterminisme technologique et économique, et présuppose que l’unification du monde par le marché et la technologie aboutira à une homogénéité culturelle, à la résorption des grandes civilisations sous l’égide des forces universelles.
Le progrès technologique moderne est apparu d’abord en Europe; il s’est diffusé ensuite en Amérique du Nord, et il est en voie de généralisation à l’échelle mondiale. L’ensemble des sociétés est voué à progresser sur le chemin unique de la « Civilisation », dont l’expansion coloniale de l’Europe ne fait qu’accélérer le rythme.
Les théories évolutionnistes se sont élaborées plus à partir de l’observation des cultures primitives sans écriture (caractérisées par la « tradition orale ») que de celle des grandes civilisations orientales, fondées sur de riches et anciennes traditions écrites. Elles ne pouvaient donc prendre en compte la puissante et vaste diversité culturelle, religieuse et mythologique révélée au même moment par la découverte du sanskrit, par celles des langues sémitiques anciennes, par le déchiffrement des hiéroglyphes, par l’approfondissement de la connaissance des traditions culturelles de l’Inde, de la Chine, du Japon.
Elles supposaient une attention aux relations sociales dans les petites cultures closes et situées apparemment hors de l’histoire, plus qu’aux mécanismes symboliques structurant les grandes traditions culturelles écrites.
L’évolutionnisme voyait le moteur de l’innovation et du changement culturels plus dans les forces endogènes, intérieures à chaque société, que dans les contacts interculturels, les forces extérieures venues de l’intrusion plus ou moins lente, plus ou moins brutale, de traits et d’éléments étrangers. C’est précisément sur ces derniers qu’insistera une théorie concurrente, le diffusionnisme. Le problème est en effet de savoir ce qui a été prédominant : des « inventions, endogènes, qui auraient permis à la plupart des sociétés d’avancer sur le chemin du progrès ; ou bien la « diffusion » des principales inventions à l’ensemble de l’humanité à partir de quelques centres innovationnels. Y a-t-il eu un grand nombre de centres d’inventions indépendants, les innovations endogènes jouant le rôle majeur dans le progrès de l’Humanité? Ou bien la plupart des inventions et découvertes (techniques, idées, etc.) sont-elles apparues dans un centre unique, ou dans quelques centres, pour diffuser et se répandre ensuite à l’ensemble du globe?
Le diffusionnisme, en dépit de son discrédit rapide dans le champ de l’ethnologie, semble avoir ouvert la voie aux « philosophies de l’histoire » qui apparurent en Europe au début du XXe siècle avec Spengler, et surtout Toynbee, ou encore aux spéculations historiques de Malraux, de Needham, de Braudel et de quelques autres. Le genre discursif appelé « philosophie de l’histoire» est bien antérieur au diffusionnisme et à l’évolutionnisme. Il est en germe chez Bossuet et chez Voltaire, et prend son essor avec Herder et Hegel. Il se fonde sur un socle conceptuel sensiblement différent de celui de l’ethnologie, qui vit la naissance tant des approches évolutionnistes et diffusionnistes.
La philosophie de l’histoire est une « théorie » du temps historique relativement court celui des deux ou trois derniers millénaires qui ont précédé notre époque. Et elle concentre son intérêt sur quelques grandes civilisations, considérées comme les acteurs principaux du progrès de la Conscience culturelle ou de l’Esprit objectif.
Hegel, comparant vers 1820 les grandes civilisations mondiales, oppose une Europe conquérante et dynamique, figure dernière de l’Esprit, et un Orient (Inde, Chine, Islam) stagnant dans le despotisme et la superstition après avoir représenté la naissance et des étapes révolues du mouvement de l’Esprit, incarné dans l’histoire. Hegel, avec la bonne conscience d’un intellectuel européen qui a vécu l’épopée napoléonienne et qui observe le développement de la Révolution industrielle anglaise, considère d’un oeil froid et blasé la mise en place du pouvoir anglais en Inde et s’identifie tout naturellement à l’Europe.
L’Allemagne, désormais porteuse des Lumières philosophiques, est vouée à penser la modernité, à laquelle il oppose la barbarie asiatique, qui englobe les grandes civilisations de l’Orient. Emboîtant le pas à Hegel (ou à son prédécesseur Herder), les Romantiques allemands (les frères Schelling, Schopenhauer), puis les jeunes hégéliens, avec Marx à leur tête. Nietzsche enfin, apporteront tout au long du XIXè leur contribution à la vision européocentrique de l’Histoire et à l’intégration philosophique de l’ensemble de l’humanité dans la pensée européenne.
Cependant le début du XXe siècle apporte un bémol et des retouches non négligeables à ce triomphalisme intellectuel et à l’impérialisme de la pensée occidentale. La première guerre mondiale, qui est en fait un déchirement intestinal de la civilisation européenne, suivie de la prise de conscience par certains penseurs des réalités du colonialisme, de ses brutalités et de ses faiblesses, amèneront Spengler à prophétiser le « déclin de l’Occident », puis d’autres (Gide, Malraux, Drieu la Rochelle, Thomas Mann, Hermann Hesse, Keyserling, Ernst Jünger, etc.) à envisager avec inquiétude la perspective d’une «crise de l’Europe », où se dessine la possibilité, la probabilité d’une hégémonie américaine. Mais ce pessimisme politique, contemporain de la montée en puissance des régimes fascistes, est doublé par une réflexion plus sereine et plus distanciée d’historiens qui ressentent la nécessité de penser désormais l’histoire européenne à la lumière de l’histoire mondiale en gestation, et d’une vision planétaire de l’homme, où l’Européen, quelle que soit sa grandeur présente ou passée, n’est plus qu’une des figures de l’Homme, où l’Occident n’est plus que l’une des figures possibles de la Modernité. Désormais la civilisation occidentale doit être confrontée aux autres grandes civilisations de l’Histoire ; la civilisation européenne ne saurait plus sans naïveté ou sans arrogance se considérer comme représentant la Civilisation.

Les civilisations et l’Histoire mondiale
Deux auteurs au moins ont pris, dans les années 1930 et 1940, pleinement conscience de la nécessité de penser l’Histoire en termes planétaires, de la décentrer par rapport à l’Europe. Tout d’abord Arnold Toynbee, scrutant le monde depuis le Proche-Orient où il sert le pouvoir britannique, et méditant sur le destin de l’Europe, envisage la succession de grandes civilisations dans le temps, leurs filiations éventuelles, ou au contraire leur coexistence faite d’ignorance ou de conflits. Ensuite Fernand Braudel qui, prisonnier dans un stalag allemand, réfléchit sur la signification de la Méditerranée comme frontière, comme lien ou comme fossé infranchissable, entre les grandes civilisations de l’Antiquité (Rome, hellénisme, Carthage, barbares, Islam) et de l’âge moderne (Républiques italiennes, Espagne, Empire turc). Ces deux auteurs se montrent sensibles au rôle des distances dans la diffusion des mentalités, et tentent de comprendre à la fois les continuités dans le temps et les discontinuités dans l’espace.

• Gerard Leclerc
La Mondialisation culturelle
Les civilisations à l’épreuve

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