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Les civilisations à l’épreuve de la mondialisation (5)

Quand les sociétés, quand les grandes civilisations étaient séparées par les distances géographiques, par les déserts, par les océans, la clôture culturelle était chose courante et normale. Avec la disparition des distances, la clôture devient artificielle, l’effet d’une volonté, soit de se séparer des autres, en particulier des voisins, ou du moins de s’en différencier (dialectique identité/altérité), soit celle de résister à l’oppresseur ou au dominant.
Il a donc existé au cours de l’histoire humaine ce qu’on peut appeler une clôture traditionnelle, des cultures et des civilisations isolées. Dans la période moderne, les « grandes découvertes» européennes, puis l’impérialisme marquent le début d’une ouverture dominée : les autres grandes civilisations s’ouvrent sous la contrainte les unes aux autres, et d’abord à la puissance européenne. Au cours du XIXe siècle d’abord, de 1930 à 1960, au cours de la lutte anticoloniale, puis dans la phase dite de décolonisation et au-delà, on assista à la formation de « nationalismes» et à un mouvement qu’on pourrait appeler «clôture de résistance».
En cette fin du IIe millénaire, se dessine une ouverture généralisée, quelquefois subie, niais souvent aussi négociée et plus égalitaire : la mondialité. Des contacts culturels égalitaires et libres (influences, emprunts) ont eu lieu tout au long de l’histoire prémoderne. Mais ils étaient discontinus, passagers, transitoires, réversibles, multicentrés. En cela ils différaient de l’impérialisme moderne, fondé sur l’opposition entre un centre dominant (l’Europe) et une périphérie dominée (l’outre-mer). La mondialité en train de naître est caractérisée par la disparition des dernières zones neutres ou vierges, des no man’s land historiques et culturels, et par un processus désormais unique, universel et irréversible, sous la poussée puissante de la science, de la technique, de l’industrie.
Tout ceci ne va pas sans traumatismes psychologiques et culturels. La gigantesque mutation historique qui se prépare remet en question des attitudes anciennes, enracinées depuis longtemps en l’homme et présentes dans toutes les sociétés : l’ethnocentrisme et le mépris de l’Autre, l’ignorance et l’indifférence satisfaites à l’égard de ses coutumes, de ses croyances, de son mode de vie. L’ouverture forcée au monde, le décloisonnement de la planète signifient la nécessaire découverte de l’Autre, l’apprentissage (le la tolérance, la naissance d’un « cosmopolitisme » réel, où tous les hommes sont frères, d’un monde où ils deviennent en tout cas concitoyens et prochains. Dans les pages qui suivent, je brosserai à grands traits les caractéristiques principales de ce qu’on peut appeler l’ethnocentrisme traditionnel des grandes civilisations. Je ne parlerai pas de celui de l’Occident, lequel est bien connu. Il a été démontré par les analyses de l’ethnologie moderne, et dénoncé par des intellectuels européens ou non occidentaux. Je me bornerai donc à rappeler quelle fut l’attitude culturelle dominante dans les grandes civilisations asiatiques, face à l’Autre, à leurs voisins, face à la différence culturelle en général.

L’Islam et l’étranger
Le mot «Islam» s’entend en des sens très différents. On peut distinguer au moins trois couches de sens distinctes. Tout d’abord une attitude générale, la soumission de l’individu à Dieu, la foi personnelle dans le Coran, «Islam» veut dire, étymologiquement, «soumission», «acte de foi». Par la suite, le terme prit le sens d’un système institutionnel idéal, celui qui avait été visé et voulu par Mohammed, et que tentèrent de réaliser les premiers califes. Enfin l’Islam désigne, surtout de nos jours, une réalité civilisationnelle et historique qui est partie prenante du monde actuel. L’Islam est une religion, à la fois au plan individuel et au plan collectif. C’est une civilisation, une tradition, une histoire, un système politique. La conception de l’Islam comme système institutionnel et historique est relativement moderne. Dans l’Islam traditionnel, on parlait de la «umma», la «communauté». Sous entendu : du prophète. La «communauté» véritable, c’est celle du prophète (umma al-nabi). Cette communauté, envisagée par rapport aux autres sociétés, c’est «le monde de l’Islam» (dar, al islam), c’est la «communauté musulmane» (al djamaa al islamya) ; c’est le «monde de la justice» (dar al adl). L’Islam, en tant que réalité à la fois humaine et divine, est « religion et État», «religion et Cité», «religion et gouvernement des hommes » (al islam, din wa dawla).
Prenant en compte cette sédimentation sémantique du mot «islam», Hodgson distingue entre l’«Islam» (la religion au sens strict), lslamdom (l’Islamité) entendue comme le monde de l’Islam, et enfin Islamicate (l’Islamicat), désignant la civilisation de l’Islamité. La distinction que fait Hodgson entre Islam et Islamité (ou Islamicat) renvoie un peu à celte que l’on fait ordinairement entre le christianisme et la Chrétienté. A ce monde historique et institutionnel, à cette civilisation, la tradition historique islamique a opposé le monde extérieur, les mondes étrangers et hostiles, ignorants de l’Islam, ou en lutte contre lui. «Al jahilliya» désigne le monde «païen», non islamique, plus précisément préislamique ou antéislamique : c’est le monde de l’ignorance (de la loi du prophète), ceux qui n’ont pu connaître la Révélation… Il existe par contre un autre monde « païen», c’est celui de ceux qui refusent encore le message de Mohammed : c’est celui de la guerre (dar al harb). Mais aux dires de certains commentateurs, traditionnels ou modernes, le harb (la guerre) et moins important que le «djihad», entendu non pas comme la guerre au sens militaire et politique, mais au sens moral : l’effort pour développer l’Islam, l’effort sur le chemin de Dieu. L’Islam conquérant, la civilisation qui s’imposa par les conquêtes et par les conversions aux civilisations environnantes (Byzance, Perse), ne fut pas marqué par l’intolérance et le fanatisme. Il «toléra» les groupes qui témoignaient de leur volonté de rester fidèles à leur foi traditionnelle. D’où la formation, au milieu de la Communauté islamique, de minorités non musulmanes (chrétiens, juifs), dont le statut social et politique, inférieur à certains égards. fut désigné par le terme de « protégés » (dhimmi). Envisagées du point de vue religieux et théologique, ces communautés non islamiques furent appelées également « monde de l’alliance » (dar al ahd), ou encore «monde de la réconciliation» (Jar al sulh), en tant qu’elles formaient un monde qui avait connu lui aussi la Révélation, celle qui est antérieure an Sceau des prophètes les « gens du Livre », les monothéistes non musulmans.
Ces relations pacifiées avec les minorités, avec les communautés non islamiques de l’intérieur, se retrouvèrent bientôt avec les sociétés étrangères, avec les civilisations que rencontrait l’Islam et qui devenaient ses frontières.

• Gerard Leclerc
La Mondialisation culturelle
Les civilisations à l’épreuve

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