Mohamed Belahrach travaille de temps en temps, trime pour gagner son pécule et s’assurer le plaisir. Il hait ceux qui recourent aux agressions, au pickpocket, au cambriolage, à l’escroquerie et tous autres crimes et délits pour gagner leur vie. En fait, il n’aime pas faire du mal aux autres. Aucune prostituée n’a peur de lui et ne tremble lors de son arrivée ou quand il est en état d’ivresse, même avancé. Au contraire, il devient très gentil, doux, tendre, aimant et affectueux, comme un père qui console ses enfants. Les années passent. Mohamed Belahrach est à son trente-septième printemps. Il y a vingt-deux ans quand il a goûté pour la première fois la chair d’une femme, quand il a commencé à s’attacher aux prostituées, quand ses pieds ont commencé à l’emmener inconsciemment au Derb El Berkaoui, quand il n’a plus envie de vivre en dehors de ce «quartier du plaisir». Vingt-deux ans s’évaporent comme de la fumée. Toute une vie qui s’enterre. Mohamed Belahrach ne se rend pas compte de toutes ces vingt-deux années. Car son credo est de profiter de l’instant, sans penser au lendemain, ni se souvenir du passé. Car sa vie ne se conjugue qu’au présent, jamais au passé ou au futur. Et même le présent, il ne vaut rien sans femmes et alcool. Deux piliers de sa vie qui nécessitent de l’argent, beaucoup d’argent. Mais, il n’en a pas ce 18 juin 1993. Il n’a rien gagné ce jour. Il a les poches vides. Aucun sou pour acheter un paquet d’allumettes. Que doit-il faire ? Retourner chez lui et se glisser tôt sous le drap pour plonger dans un profond sommeil ? Il ne peut dormir tôt, il ne peut passer la nuit chez lui, il ne peut se coucher seul sans partager le même lit avec une prostituée, il ne peut terminer sa journée sans ingurgiter quelques verres de vin rouge. C’est insupportable. La solution ? En fait, il ne sait rien, mais il semble avoir une idée qui commence à hanter son esprit. Laquelle ? Il ne veut pas la révéler, même à lui-même. Ou il ne peut pas ? Sa tête chauffe. Il sent comme si de la fumée s’y échappe. Des idées maléfiques commencent à y germer. Il tente de les chasser. En vain. Elles s’y enfoncent comme des clous dans un mur. Les arracher ? C’est trop tard. Parce que Mohamed Belahrach a pris sa décision. Une décision sans appel. Mohamed Belahrach rentre chez lui. Il n’adresse la parole à personne. Même pas à sa mère et son père. Il s’allonge sur un divan d’une chambre, contemple le plafond et garde le silence. Il ne mange rien comme s’il jeûne. Tout d’un coup, il se lève, avance de deux pas vers un coin dans le domicile rangé comme une cuisine et il saisit un couteau. Il se plante à sa place tout en l’examinant avec des yeux qui brillent. Étrange ! Belahrach ne s’armait jamais de couteau ou autres armes blanches. Pourquoi cette fois-ci ? Personne ne sait au juste. Il le dissimule sous ses vêtements et il sort de chez lui. Sa destination ? Derb El Berkaoui. À pas lent, il avance à sa destination. Pas moins d’un quart d’heure, il y arrive. Il se tient debout. Il lève ses yeux au ciel. Il n’est plus bleu. Le soleil vient de se coucher. Il regarde à gauche et à droite. Il essaie d’être loin des regards. Surtout que tout le monde le connaît au quartier, sauf les nouvelles prostituées.