ALM : C’est votre 2ème Prix Grand Atlas. Que représente pour vous cette consécration?
Mohamed Loakira : Oui. Le jury présidé par M. D’Ormesson m’avait décerné le prix de la poésie en 1995. Aujourd’hui, c’est celui du roman qui récompense «L’inavouable». Dans l’ensemble, ce Prix constitue un événement annuel et un repère dans notre champ culturel. Il se caractérise par la ponctualité, le haut niveau du jury et par l’audience prépondérante au niveau des médias et, peut-être, du lectorat. Cette reconnaissance à la fois soulage et inquiète. Elle met en évidence l’importance d’un travail abouti tant en ce qui concerne la langue, la métaphore, le style et l’imaginaire. En revanche, elle délimite la fin d’une expérience spécifique et ouvre la voie à d’autres aventures, à d’autres corps à corps avec les outils de travail.
Pouvez-vous nous parler de l’approche littéraire de votre dernier ouvrage?
La poésie est un genre littéraire évasif, bien qu’elle soit un lieu de liberté, de dissidence et qu’elle ″ouvre la voie à l’invention verbale″. En revanche, le récit, hybride soit-il, s’articule autour de la narrativité et la mise en abyme d’une série d’événements. Et c’est vrai. La poésie a constitué l’essentiel de mon expression et mon nouveau cheminement à travers les abymes du récit est très récent. Je l’ai entamé avec «L’esplanade des saints», A corpsperdu» et enfin «L’inavouable qui est primé cette année. Mais s’il est vrai que toute œuvre se construit selon des règles internes bien déterminées, il est également vrai que son identité générique n’est pas primordiale pour procéder à son inclusion ou à son exclusion. Cette notion d’appartenance, conduisant ipso facto au classement forcené des genres, nuit plus qu’elle sert l’approche de l’œuvre. Poème, récit, roman? Qu’importe ! L’essentiel, c’est pousser la cohérence au point de déconstruire le rationnel.
Dans quelle mesure la ville de Marrakech occupe une place centrale dans «L’inavouable»?
Par la médiation du narrateur ou des narrateurs, ce récit fictif raconte l’histoire d’un enfant natif de Marrakech, mais, adolescent, il est exilé à Rabat. Il introduit des personnages périphériques et des repères autobiographiques, historiques, anecdotiques, imaginaires, voire fantasmatiques et mensongères. Il va sans dire que Marrakech, en permanence dans mes œuvres, demeure le mythe fondateur de mon écriture. C’est mon lieu affectif, politique et utopique. Avec le temps, il est devenu mon lieu à dire, mon lieu d’écriture, toujours « en instance de départ». C’est mon Eden qui a existé et qui n’existe plus et qui cependant continue à m’habiter, à me pousser de l’avant, à me faciliter l’escalade de la mémoire individuelle par le dire, afin de me projeter dans le non-encore-vécu et «rendre possible la mémoire collective».
Y a-t-il une crise de la lecture au Maroc ?
L’intervention du lecteur est primordiale. Sans lui, le produit culturel est condamné à être inexistant ; sans lui, l’œuvre demeure absente ou en manque des privilèges du partage. Car il constitue le segment essentiel dans toute réception. Mais la notion de « crise » prête à confusion. Pour qu’il y ait crise, il faut avoir vécu au préalable une certaine renaissance, épanouissement et accomplissement. Ce qui n’est pas le cas en la matière. Donc, il est nécessaire, voire urgent de prendre en compte nos manques et d’encourager l’apprentissage à la lecture, de soutenir les éditeurs, les libraires, les bibliothécaires et les enseignants.