Lundi 2 octobre, 17 heures, devant la porte de la grande mosquée de Mabrouka- Sidi Othmane, à Casablanca. En face de cette mosquée, construite à grands coups de pétrodollars par un bienfaiteur du Golfe, une poignée d’hommes barbus étalent à même le sol des dizaines de livres, de cassettes-audio et de CD piratés. Attirés par la reliure dorée des livres, plusieurs dizaines de piétons s’arrêtent pour les contempler ou pour en demander le prix. Un jeune, visiblement pressé, s’arrête lui-aussi.
Parmi les livres exposés, il y en a un qui a le plus attiré son attention : « Influenza addonoub». «C’est pas mal comme titre», lâche le jeune quidam. «L’apparition du virus ravageur (grippe aviaire) est, incontestablement, une punition divine», nargue-t-il. «Dieu veut châtier une humanité de plus en plus tentée par le péché», ajoute-t-il, rappelant le fameux tsunami qui avait secoué le Sud-est asiatique. «C’était une alerte divine sur le règne du tourisme sexuel dans cette région du monde», tranche-t-il, sous le regard approbateur du marchand qui se prépare à encaisser les 25 dirhams que coûte le livre.
Le coût est, certes, à la portée des petites bourses. Mais, « à toute médaille il y a un revers », avertit un curieux, qui prêtait une oreille attentive à la discussion. L’acheteur aurait dû au moins se poser des questions sur le discours véhiculé par l’auteur du livre, le prédicateur islamiste égyptien Mohamed Houcine Yacoub ; lequel a réussi à envahir nos foyers, au même titre que les stars de la télé-prédication Cheïkh Al Qaradaoui et Amro Khaled. Ces derniers ont trouvé dans la chaîne Al-Jazeera une tribune idéale pour faire la promotion de leurs «idées» destructrices.
«L’attrait exercé par ces orateurs sur le commun des téléspectateurs explique, en grande partie, la popularité de leurs livres et autres supports audiovisuels diffusant leur vision apocalyptique du monde», explique un universitaire. Et d’ajouter que, pendant le mois de Ramadan, le recours à cette littérature «prend une allure aussi phénoménale que dangereuse». S’agissant des livres, on en trouve sur les étals aménagés près des mosquées. Ils sont, également, trimballés par des marchands ambulants reconvertis, -peut-être à leur insu-, en VRP des discours intégristes ou dans les souks encombrés de Hay Mohammadi, Derb Ghellaf, Sidi Othmane, pour rester uniquement dans la sphère casablancaise.
Les titres proposés suintent de mépris envers les femmes, incitent à la haine religieuse, prêchent l’exécration de la vie, cultivent le fatalisme et une vision étriquée de l’existence dans ce bas-monde. Mais passons. Au-delà de l’écrit, il y a la déferlante des CD piratés et autres cassettes-audio. En ces temps de spiritualité où le commun des jeûneurs tourne le dos à la musique, les prêches ont la cote.
Un véritable phénomène sonore s’installe sur les marchés publics. En faisant un petit tour du côté de Bab El Had, à Rabat, le client est assailli par une cacophonie de voix distribuant des « fatwas » contre les femmes «pécheresses», proférant des anathèmes contre « l’Occident pervers », ou jetant l’opprobre sur les régimes « sataniques» des pays musulmans. Que faut-il ajouter à ce tableau sombre ? On se croirait aux portes de l’enfer. Dur à supporter, du moins pendant ce mois qui rime plutôt avec la paix, la tolérance et la convivialité.