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Souvenirs de « Al-Tahrir” (1)

© D.R

La police, «l’information» et Bukhari, rapporteur de toute nouvelle !
1- Une expérience fondatrice
Mon expérience au sein de “Al-Tahrir” fut, sans conteste, la plus riche et la plus chère à mon coeur. Ce fut, à juste titre, une expérience fondatrice, qui devait constituer mon entrée véritable dans le champ de la militance politique et journalistique. C’est elle qui me fera connaître de tous, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’UNFP, y compris des «services compétents».
C’est également au sein de “Al-Tahrir” que je devins, pour les dirigeants du Parti, un frère et un camarade digne de la confiance de tous ; et c’est en pratiquant l’écriture politique sur les colonnes de ce quotidien –sur la base de «l’information» que vous obtenez de vos sources comme d’ailleurs – que j’appris à écrire en prenant garde aux lectures et interprétations auxquelles mon écrit pouvait éventuellement se prêter technique grâce à laquelle mes écrits, très souvent violents ne fournirent jamais aux lecteurs spécialisés dans le décryptage des intentions le moindre indice qui eût pu leur servir de prétexte pour m’accuser de quoi que ce soit, ou pour saisir ou suspendre le journal. Voici l’histoire d’une passion.
2- Exiguïté spatiale et densité temporelle
Le local du journal se trouvait dans celui de l’imprimerie Imprigéma, sis au 46, rue de la Garonne, sur l’artère s’étendant du cinéma Chéhérazad à Aïn El Borja, non loin de l’avenue Ibn Tachfine, à Casablanca. Le syndicat français, qui détenait la propriété de l’imprimerie en tant que société anonyme, en avait fait don aux syndicalistes marocains. Le camarade Youssoufi, ainsi que d’autres leaders du mouvement travailliste marocain, avaient à ce titre reçu des actions de cette société. Ils les abandonneront toutes à l’UMT, qui finira par en devenir l’unique propriétaire. Le local était très modeste. Le rez-de-chaussée était entièrement occupé par une vieille rotative, avec ses rouleaux de papier et tous les matériels et matériaux d’impression. A droite, près de la porte, s’élevait un escalier qui passait devant le bureau du directeur-M. Calvon à l’époque- situé à l’entresol. Le chargé de contact de ce dernier avec l’UMT était feu Tibari, qui devait d’ailleurs le remplacer plus tard. Au premier étage, un petit étage s’ouvrait à droite sur une vaste pièce de quatre mètres sur huit, qui servait de local au bureau de “L’Avant-garde”, hebdomadaire de langue française que publiait l’UMT, tandis que son homologue arabophone “Al Taliaâ” occupait une pièce de mêmes dimensions, située en face. Les locaux d’“Al Tahrir” étaient situés plus loin sur la gauche, dans un espace vide divisé en quatre compartiments de deux mètres sur trois chacun. Le premier de ces compartiments était réservé au rédacteur des informations, Abdessalam Bouserghini, chargé de l’écoute des radios et de la traduction des dépêches de l’AFP-la MAP locale n’étant pas encore née. Le second était occupé par les rédacteurs des correspondances locales et les correcteurs (en 1959-1960, ils n’étaient le plus souvent que deux: Mustapha Ammari et Ibrahim Kamil). Feu Mohamed Bahi, spécialisé dans la politique internationale et les mouvements de libération en Afrique, occupait le troisième, tandis que l’auteur de ses lignes, assumant la responsabilité de secrétaire de rédaction, occupait la dernière, placée au bout de l’étroit couloir. Le rédacteur en chef, Abderrahmane Youssoufi, n’avait pas de bureau particulier, pas plus que n’en avait le directeur Fkih Baçri et le Martyr Mahdi. Le bureau du secrétaire de rédaction servait de bureau temporaire au premier quand la salle de rédaction était ocupéecomme aux seconds lors de leurs brèves visites pratiquement quotidiennes au journal. Le rédacteur en chef ne disposera d’un bureau propre qu’après que les bureaux de “Al Taliaâ” auront été transférés aux locaux de la Bourse du Travail. Bien évidemment, nul trace de luxe ni dans le bureau du rédacteur en chef-quand il en eu un- ni dans les autres. Nul canapé, nul fauteuil ; juste quelques sièges branlants, en métal ou en bois, durs et rugueux. Le bureau du secrétaire de rédaction était à dessein placé au bout du couloir : sa position, surplombant les grosses linotypes et la table de mise en page, lui permettait de superviser le travail des typographes, classant les articles de chaque page, selon la priorité et l’importance de l’article en question, concentrant son attention sur la lecture que tel contenu, tel emplacement ou telle typographie pouvaient susciter. Ces opérations –auxquelles s’ajoutaient évidemment les tâches habituelles : rédiger les commentaires politiques, classer les informations, lire le courrier, etc- aboutissaient enfin à la presse, située sur la droite, où les épreuves finales, composées en caractères de plombs, étaient imprimées sur un papier spécial destiné à être reproduit. Le bureau du secrétaire de rédaction ne désemplissait pas ailleurs jamais de visiteurs, responsables de l’UNFP ou autres. Entre écriture, téléphones et visites, le travail se déroulait donc dans un temps extrêmement dense, ce qui ne laissait évidemment pas d’engendrer des tensions. A cause du matériel désuet et non performant, le journal prenait un temps relativement long pour être imprimé. Personne ne disposait de machine à écrire personnelle, à l’exception du directeur de l’imprimerie qui en possédait une d’un vieux modèle. Aussi le secrétaire de rédaction était-il obligé de se présenter au bureau vers 9h du matin le quittant pour une courte pause à midi trente, avant d’y revenir pour ne le quitter à nouveau que passé dix heures ou onze heures du soir. S’il voulait emporter un numéro, il devait attendre jusqu’à minuit, voire plus tard. A condition, bien évidemment, qu’il n’advienne aucune avarie de rotative. Quand cela arrivait –et Dieu sait si ce n’est pas rare- la réparation prenait habituellement une heure, voire d’avantage, temps qu’il fallait mettre à profit pour la préparation de la matière du jour suivant.
C’est ainsi qu’il en fût d’Al Tahrir durant les deux premières années de son existence (et de Al raï Al Am, qui devait le remplacer). Le temps et l’expérience aidant, nous pûmes gagner progressivement du temps, parvenant à sortir le journal à 20h, ce qui nous permit d’attraper trains et autobus en partance pour les autres villes du Royaume.
3- Une camaraderie muette … !
A Casablanca, les vendeurs ambulants de “Al Tahrir” montaient la garde dans les locaux du journal dès 19h, plus d’une heure avant la sortie du nouveau numéro. Ils se faisaient bien évidemment concurrence, mais devenaient solidaires dès que le journal venait à faire l’objet de surveillance policière. Ils se plaisaient alors à jouer à cache-cache avec une police secrète qui n’avait rien de secret, les agents chargés de la surveillance ayant à la longue fini par ne plus observer aucune discrétion. Parfois, lorsque –suite à quelque article cuisant- la rédaction était soumise à une surveillance particulièrement serrée, une fourgonnette, chargée des éléments des Compagnies Mobiles d’Intervention (CIM), stationnait ostensiblement devant les locaux du quotidien, interdisant manu militari la sortie du nouveau numéro avant que la police «secrète» ne revînt avec la permission ou l’ordre de saisie. Les éléments de cette dernière devaient en effet se saisir de quelques exemplaires du numéro à paraître, qu’ils emportaient vers les locaux de la Direction locale de la Sûreté nationale, d’où lecture était faite par téléphone aux personnes compétentes à Rabat, suite à quoi, après des «consultations » qui pouvaient prendre des heures , la sentence était prononcée, que la police secrète s’empressait de transmettre. Souvent, la saisie n’était même pas communiquée : on se contentait de faire durer l’attente jusqu’à ce que, le soir tombé, le numéro devînt désuet ! Si l’autorisation était donnée pour le jour suivant, nous nous mettions au travail sans plus tarder.
Sinon, nous agissions selon la nature et l’intensité du conflit : nous n’hésitions pas à retirer l’article ou le commentaire objet de litige quand l’affaire n’était pas d’importance, mais nous persistions, lorsque la lutte culminait, à reproduire le même numéro, n’y changeant que la date et quelques informations internationales, quitte à ce que ce nouveau numéro fût lui-même saisi, ce qui d’ailleurs advenait souvent. Le jeu durait jusqu’à ce que –les numéros sortis sous le manteau et la Radio médina aidant – l’information ou le commentaire en question aient fini par faire le tour du pays ; nous ne jugions plus nécessaire d’insister.

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