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Souvenirs de « Al-Tahrir » (12)

© D.R

Cette critique, rédigée en 1959, reflétait la conscience nouvelle qui commençait à s’installer chez les membres da la famille de la résistance. L’article définit également de nouvelle tâches –qu’il présente comme étant des substituts possibles et des moyens de poursuivre la résistance et pallier les manquements de cette dernière- se résumant en l’instauration d’une démocratie authentique et une justice sociale véritable.
L’auteur de ces lignes n’a en effet eu cesse –depuis l’aube de l’indépendance et jusqu’à ce jour- de poser la question de la démocratie et de la justice sociale. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir dans le quatrième numéro de cette série, consacré à la question démocratique.
Pour l’instant, nous nous limiterons à souligner que al-Tahrir avait, depuis juin 1959, abordé, avec une insistance croissante, la question de la résistance –son idéal, ses objectifs, ses réalisations et ses revers- autant que celle des résistants. La raison en était la situation tragique que vivaient de nombreuses familles de martyrs et de résistants encore en vie, notamment ceux d’entre eux qui étaient invalides. Dans leur quête de justice, ces familles, déçues et écoeurées par les tergiversations, les faux-fuyants, voire la franche hostilité que leur opposaient mêmes quelques-unes parmi les administrations censées les aider, affluaient matin et soir sur les bureaux de al-Tahrir pour nous faire part de leur douleur et leur déception. En ma qualité de responsable des questions intérieures et de l’orientation politique, je me chargeais moi-même de recevoir ces gens et de rédiger en vue de leur publication les rapports relatifs à leurs réclamations, allégeant pour autant les tâches d’Abderrahmane Youssoufi, à qui nos visiteurs auraient tous voulu s’adresser en sa qualité de président de l’Association de la résistance et de l’Armée de Libération, et également de rédacteur en chef de al-Tahrir. Nous verrons que les articles qui suivront évoqueront avec une insistance croissante cette tragédie que vivaient les résistants, et que cette même insistance sera à l’origine des arrestations dont Baçri, Youssoufi –suivis par tant d’autres résistants- feront l’objet, comme nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail.
Lisons pour l’instant l’article en question, article dont l’importance historique réside, à notre sens, dans le fait que par-delà le caractère personnel qu’il revêt et la situation des résistants qu’il expose, il évoque les causes subjectives (au sein de la résistance marocaine) qui avaient rendu possible une telle situation. N’oublions pas, cela dit, que l’époque où l’article fut rédigé était une époque où l’élan de libération révolutionnaire submergeait le tiers-monde tout entier.
Il sied de souligner un autre aspect de cet article : il constitue une clé du genre de comportement qui allait être le mien durant mon travail au sein de l’UNFP et de sa presse. Je venais en effet de passer ma première année universitaire (1957-1958) en Syrie. En y débarquant, j’étais, il est vrai, déjà armé d’une conscience politique. Mais grâce aux journaux et autres publications idéologiques locales, et grâce au climat universitaire très actif, je fus à même de pousser cette conscience à un niveau encore inconnu au Maroc à cette époque-là.
C’est durant ce séjour en Syrie que je pus découvrir l’étendue de l’indigence intellectuelle, théorique et idéologique, dont souffrait la résistance dans mon pays. Les nombreux résistants qui m’étaient personnellement connus – essentiellement dans le cadre des relations familiales- étaient pour la plupart, pour ne pas dire tous, des analphabètes qui agissaient sous l’impulsion de leur seul sens patriotique. C’est du choc entre cette réalité et le discours intellectuel théorique et idéologique que je découvris en Syrie qu’est née chez moi la conviction que le changement devait commencer par l’initiation politique et idéologique des masses. Ma pratique du culturel et du politique était certes de quelques années antérieure à ce voyage en Syrie. Je ne saurais cependant expliquer mon statut de “projet d’intellectuel” de l’UNFP depuis sa fondation sans évoquer la richesse acquise au sein de ce climat intellectuel ouvert, qui sut me retenir durant cette année passée à Damas en tant qu’étudiant universitaire et correspondant de al-Alam, jouissant de mon indépendance là-bas, et gardant à la fois mes racines nationales ici.
C’est probablement cette importance que je commençai à donner au culturel dès cette époque, qui est responsable du fait que j’ai toujours gardé une certaine distance à l’égard de toute activité parallèle à celle, politique et idéologique exercée par les instances du parti. Il faut ajouter à cela que ma position dans le journal et au sein du parti, et mon grand intérêt pour l’information, faisaient que j’étais souvent au fait de bien des « secrets »… C’est à la lumière de ces éclaircissements qu’il convient de lire notre article, dont voici le texte : « Dans son sens premier, le mot résistance signifie une réaction négative à une action ou une situation donnée. Plus puissante, plus violente et plus tenace sera cette réaction, plus efficace, plus révolutionnaire et plus authentique aura été la résistance.
Négative est cependant à prendre dans le sens que lui donnent les sciences physiques : celui d’une force de réaction, dont le sens s’oppose à celui de la force qui la fait naître. Dans le sens politique, la résistance est à la fois positive et négative. Positive, car elle tend à substituer à une réalité corrompue et dégradée une autre réalité plus saine ; négative, car optant pour la violence et rejetant toute forme de compromis.
Mais pour revêtir véritablement ce sens, la résistance doit nécessairement s’appuyer à un idéal où elle doit puiser force, consistance, inspiration et aptitude à l’évolution continuelle. Aussi, peut-on dire que la résistance n’est en réalité qu’une matérialisation de l’idéal : elle lui confère l’efficacité sans laquelle cet idéal perd tout contenu véritable. Révolutionnaire quant à lui, l’idéal alimentant la résistance doit être fermement opposé aux compromis comme à toute forme de tergiversation ou de composition, car l’idéal révolutionnaire, à l’image de la révolution elle-même, et tel un torrent furieux, qui va balayant les anfractuosités de corruption et de dépravation, ne souffrant ni fractionnement, ni ajournement. Idéal révolutionnaire, la résistance est tenue de préserver plus qu’elle ne l’est de réussir. Si le succès et la réussite sont généralement les critères de l’aune desquels se mesure la pertinence d’un principe ou d’un idéal, la victoire la plus éclatante n’est en fait acquise que lorsque l’idée parvient à préserver son authenticité, et que le principe sait se refuser à tout compromis qui pourrait lui être imposé en tant que condition de réussite. Le compromis –quels que soient les prétextes évoqués pour le justifier- recèle toujours un soupçon de renoncement, d’échec dans la réalisation de l’idéal auquel on croit et pour lequel on se bat. Or, la révolution ne sachant souffrir ni renoncement, ni échec, elle n’est plus, en les admettant, qu’acte artificiel sans fondements solides, ni mobiles authentiques et durables. En effet, le compromis et l’échec sont toujours signes de faiblesse : faiblesse de l’idéal lui-même, de celui qui le défend ou de la foi de ce dernier en ce qu’il défend. Pour l’idéal révolutionnaire, la victoire ne consiste ni à faire céder du terrain à un adversaire, ni à améliorer temporairement une situation, mais à se refuser à tout compromis et à rejeter sans appel toute transaction et toute tentation.
Si l’on mesure la résistance marocaine à l’aune de ce critère, l’on s’aperçoit qu’elle a certes refusé de se plier au fait accompli, mais seulement après s’être aperçue de l’inutilité des compromis et autres formes de composition.

• Par Mohammed Abed al-Jabri

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