«Agence immobilière Yasmine pour vente, achat et location». Cette enseigne fait partie du décor du quartier Al Qods à Benslimane, une ville située à mi-chemin de la capitale administrative et la métropole Casablanca. Dans ce quartier domine une activité fébrile. Les bruits des commerces se mêlent aux cris des vendeurs ambulants, aux exclamations de ceux qui passent leurs journées à regarder dans des cafés les championnats de football de pays étrangers. L’Husseïne, l’unique occupant de l’agence immobilière, fait partie du décor. Personne ne prête attention à ce Samsar. C’est un homme calme et discret. Il n’entretient de relation qu’avec les gens avec lesquels il doit tirer profit. Quinquagénaire, il est corpulent, très grande taille avec des traits marqués. Ce dernier s’habille en costume. Personne ne l’a jamais vu vêtu d’habits traditionnels ou en sport.
«- Quoi de neuf, Si Hamza? lui demande un client.
– Je viens de penser à toi à l’instant. J’ai une excellente maison à te proposer, l’affaire du siècle : elle est bien située, spacieuse, bien aérée et ensoleillée. Mais avant d’aller la visiter, allons d’abord boire un verre de thé».
L’Husseïne réserve toujours un accueil chaleureux à ses clients. Il a toujours le mot aimable, la phrase égayante, la blague qui détend. En plus, il est doté de qualité rare chez les hommes de sa profession : le sérieux et la confiance. Les commissions qu’il perçoit sont raisonnables et il n’arnaque jamais ses clients. Au début, les affaires marchaient bien. La clientèle passe par sa médiation et l’argent ne manque pas. Fin 1988. Le téléphone ne sonne plus à l’«Agence immobilière Yasmine pour vente, achat et location». Les affaires deviennent rares et la majorité des clients semble ne plus avoir besoin d’un Samsar. Peut-être qu’ils ont appris à conclure les affaires eux-mêmes sans avoir besoin de payer une commission à un agent immobilier. En plus, des pique-assiettes, intermédiaires sans feu ni lieu, sont apparus, rendant encore plus difficile le métier des agents immobiliers.
L’Husseïne passe son temps à écouter la radio, à compter les verres de thé et à vérifier de temps en temps la tonalité d’un vieil appareil téléphonique. Que lui est-il arrivé ? Un mauvais sort qui s’acharne sur lui ? L’Husseïne croise les bras et attend un téléphone qui sonne ou un client qui franchit la porte de l’agence. Un espoir qu’il ne souhaite pas perdre. C’est une crise, mais elle finira bien par se dénouer, un nuage qui assombrit le ciel, mais le beau temps finira bien par revenir. En attendant la lumière qui dissipera l’obscurité du gouffre dont il commence à se plonger, il faut payer le loyer, nourrir la famille. L’Husseïne commence par s’endetter. Sa bonne réputation, parmi ses collègues et ses clients, lui facilite la tâche.
Au bout de quelques mois, les créanciers rappellent L’Husseïne. Puis, le harcèlent pour savoir quand est-ce qu’il va leur rendre leur argent. Ce Samsar ne sait plus quoi faire. Il commence par fuir à ses créanciers. Puis par changer de chemin quand il les voit. Il évite parfois d’aller à l’agence. Il reste chez lui toute la journée. De toute façon, aucun client ne risque d’y venir. Il exige de sa femme et de ses enfants de dire qu’il n’est pas là chaque fois que l’un des créanciers frappe à sa porte. Mais ceux-là perdent patience. Et du fond de la chambre où il se cache, L’Husseïne entend souvent les créanciers le traiter de voleur et d’escroc. Ce déshonneur lui est insupportable. Que faire ? Comment s’en sortir ?
(Demain : L’Husseïne
rencontre sa première
victime)