Nous sommes en 1938. Casablanca, à l’instar de toutes les autres villes marocaines, est sous protectorat. Tout le monde ne rêve que d’une seule chose : la libération de notre patrie. C’est le rêve également de Mohamed Ben Boucheta Moutachawiq qui occupe avec sa femme une chambre au n°99, Bloc 9, Derb Essalama, Kariat Al Jemaâ, quartier Ben Msik. Certes, il n’est pas l’un de ceux qui portent les armes pour lutter contre les occupants, mais cet homme qui porte quotidiennement de l’eau avec sa charrette pour approvisionner les habitants contre quelques pièces d’argent figure parmi ceux qui se contentent à implorer Dieu pour libérer le pays sans verser la moindre goutte de son sang. Ni la situation du pays, ni la charrette qui l’épuise quotidiennement, ni la misère qui le blesse à chaque seconde, n’éclipsent le sourire qui enjolive ses lèvres. Un sourire qui éclaire son visage surtout avec l’accouchement de sa femme qui approche. Le troisième, le quatrième passent… et le neuvième mois de grossesse arrive. La femme Moutachawiq met au monde un garçon. Ce don du Dieu vient égayer le couple. Ils le nomment Mustapha, «L’Elu». À son cinquième printemps, il le place dans une école coranique. Une fois âgé de douze ans, il ne pense qu’à s’amuser, tourner en ridicule. L’idée de jours sombres, ténébreux ne lui traverse pas la tête … Et voilà qu’il reçoit la première gifle du destin : son père tombe malade, puis rend l’âme.
Décembre 1953. Le Maroc est encore sous le protectorat. Les émeutes contre l’occupation sont à leur paroxysme aussi bien à Casablanca que dans d’autres villes. Tous les Marocains réclament, par tous les moyens, l’indépendance. Et comme ceux qui n’ont pas participé à ces émeutes, Mustapha en a entendu parler. Mais, peu importe. Pour lui, une seule chose est importante: gagner facilement sa vie. Il recourt aux agressions et au pickpocket.
Le 2 mars 1956 : fin du protectorat. Mustapha Moutachawiq est alors âgé de 18 ans. C’est un jeune homme hargneux, pugnace, bourreau impitoyable, poivrot, sans pitié, ni indulgence. Il épouvante, terrorise et terrifie toute personne qu’il croise à son chemin. Comme une peste, tout le monde l’évite.
Deux ans plus tard, en 1958, leurs voisins du quartier poussent un soupir de soulagement. Car, Mustapha rejoint l’armée. Malheureusement, leur soulagement n’a duré que quelques semaines. Pourquoi ? À la caserne d’El Hajeb, il semble incapable de poursuivre le parcours militaire. Il est mis à la porte. Que doit-il faire pour survivre ? Agresser ? «Oui, mais non pas n’importe qui !», pense-t-il. Les enfants. Quand il remarque une fillette ou un garçon, tout seul, surtout dans un quartier huppé casablancais, il s’approche de l’enfant, lui adresse la parole, engage une conversation tout en le rassurant… et enfin le déleste de ce qu’il porte de plus précieux sur lui ; montre, bracelet, gourmette, boucles, et autres objets en or. Sans être châtié ? Non. Au fil des mois, il finit par être arrêté. Il est alors condamné à trois ans de prison ferme. Jugé, il n’a occupé une cellule à la prison civile à Casablanca que pour quelques jours. Après quoi, il a été transféré à la prison agricole Al Adir, dans la région d’El Jadida. Il y règne en véritable maître.
Aucun détenu ne peut s’approcher de lui. Les trente-six mois passent très vite. Début 1970, Moutachawiq retrouve sa liberté. Aussitôt, il regagne Casablanca. Que doit-il y faire ? Comment gagnera-t-il sa vie? Mendier ? Moutachawiq ne pratique aucun métier, ne sait rien faire d’autre que d’ agresser les fillettes. Il craint d’être interpellé à chaque fois qu’une agression est commise bien qu’il ne soit pas l’auteur. La solution ? Quitter sa ville natale. Sa destination ne dépasse pas au maximum 290 km vers le nord-ouest de Casablanca. Entre Rabat, Salé, Meknès et Fès, Mustapha Moutachawiq ne choisit pas une autre ville. Personne ne sait pourquoi. Depuis, il circule sans attirer l’intention de personne.
(Demain : Moutachawiq tue deux jeunes hommes).