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Un destin miraculeux (13)

© D.R

Selon Avicenne (Ibn Sînâ) : « Tout être qui existe dans son essence, son essence lui appartient ; et tout être qui existe dans une machine, son essence appartient à autrui. » (Op. cit., p.120.) Dans sa quatrième et dernière leçon au Collège de France, « Poétique et modernité », Adonis analyse d’une manière lumineuse la crise profonde évoquée par ces mots d’Avicenne, crise « occidentale et arabe en même temps ». Ce chapitre est essentiel si l’on veut tenter de comprendre la problématique de la modernité arabe, ses crises d’identité, ses reniements et ses aliénaions, ses contradictions, ses illusions, les errements de ses identifications, ses retours passéistes ou ses révoltes contre l’ancien et contre les rigidités politico-religieuses ou politico-culturelles, ses condamnations de toute innovation considérée comme hérétique, les excès de son despotisme politique.
A l’autre pôle, Adonis évoque la naissance d’une nouvelle conscience qui « nous introduit dans un monde nouveau où nous prenons mieux la mesure de notre identité et de celle de l’Autre, et où nous jetterons les bases d’une nouvelle poéticité arabe. » (Op.cit., p.119.)
L’essentiel, aux yeux d’Adonis, est de revenir à l’homme d’avant le clivage idéologique Orient-Occident. Il prophétise une dislocation des paradigmes rigides de la pensée occidentale et de la pensée arabo-islamique. Selon lui, Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé et « le surréalisme dans ses caractéristiques les plus essentielles » (on pourrait y joindre René Daumal et Le Grand Jeu) seraient proches du mysticisme arabo-islamique. Au fond, la plus haute poésie occidentale serait orientalisée par la nature de ses aspects : « prophétie, vision, rêve, magie, merveilleux, infini, méta-réel, ravissement, illumination, absence/présence dans l’extase » (p.120.)
De toute évidence, la dernière leçon d’Adonis révèle l’essence transculturelle, transreligieuse et transnationale de sa vision d’une « civilisation une et universelle » qui se crée ici et maintenant dans les souterrains de l’histoire visible et qui représente en puissance le contre-courant lumineux, créateur et évolutif par rapport au courant ténébreux, décadent et involutif le plus apparent. Les fruits pourris de l’Orient et de l’Occident contiennent le même germe de lumière. «La modernité vieillit. La créativité n’a pas d’âge » (p.125). Il faut lire les conclusions des méditations d’Adonis sur les potentialités de la créativité ouverte sur les interrogations les plus essentielles pour se sentir touché par « la grâce du sens » ou illuminé par le sens du sens de sa vision prophétique.
Dans Chronique des branches, « je suis, dit Adonis, prélude à l’annonciation, plante de l’Orient au jardin de la prophétie » (p.47) et plus loin, l’écrit, à propos de la magie créatrice des mots :
Je nomme l’arbre de la pulsion prophétique (p.77).
Son «Introduction à la poétique arabe» est un maître livre, une oeuvre initiatique au sens le plus intérieur et germinatif du mot. Comme le dit Jacques Lacarrière dans sa présentation de Chronique des banches, recueil d’Adonis dans la collection Orphée :
Il modèle autrement les éléments et les énergies de la langue, un peu comme les musiciens atonaux reconstruisent la gamme traditionnelle selon des assemblages entièrement nouveaux, ignorant l’échelle des tonalités.
(…) Il surimpressionne figures, gestes, paroles, émotions pour édifier, poème après poème, un palimpseste d’images et de vision inoubliables.
Préface admirable qui éclaire avec justesse la magie de la poétique d’Adonis. Les poèmes sont extraits d’un recueil publié en arabe à Beyrouth en 1968, intitulé « Le Théâtre et les Miroirs », dont d’autres extraits furent traduits et publiés en français en 1988 dans une édition de bibliophilie par Le Verbe et l’Empreinte et dans Mémoire du vent sous le titre « Un refuge dans l’éclair ».
Chronique des branches s’achève sur une intéressante postface de sa traductrice, Anne Wade Minkowski, sur « Les origines », avec, en épigraphe, un poème anonyme du IIème millénaire (avant notre ère) en langue ougaritique gravée dans l’argile. Ce poème, qui évoque « le message de l’arbre/Et le chuchotement de la pierre/Le gémissement des cieux avec la terre/Et de l’océan avec les étoiles», aurait pu avoir été écrit par Adonis chez qui, selon Jacques Lacarrière, « la pierre devient la confidente du passant, le vent un voyeur et buveur d’horizon ». Etranges et mystérieuses correspondances!
Anne Wade Minkowski met en garde le lecteur en observant que « l’apparente simplicité des textes, leur dépouillement extrême, recouvre un monde ésotérique, fermé, auquel plus qu’une connaissance exégétique, qu’aucun de nous d’ailleurs ne possède, plus que des notions savantes, l’amour de la poésie pure donnera la clé ».
Exemple de simplicité de langage et de complexité métaphorique :
Une pierre est tombée,
Quelque chose dans les murs s’est ouvert,
Le lointain est devenu plus nostalgique,
Plus désirable… Une pierre est tombée,
Quelque chose dans l’homme a changé. (Mémoire du vent, p.35.)
« Un monde ésotérique », certes, mais au sens d’intériorité (sans connotation confessionnelle) ; mais excessivement ouvert et seulement « fermé » au lecteur qui lui-même ne serait pas ouvert, troué ou traversé.

• «Adonis le visionnaire»,
Michel Camus, Edition du Rocher, 14,94 euros

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