Automobile

Le repos du guerrier

Celui qui était encore P-dg de Sopriam il y a tout juste quelques semaines, vient de céder son fauteuil à M. Benkirane, laissant derrière lui une entreprise en bonne santé, après une brillante carrière parsemée de défis et de réussites. Pourtant, Monsieur Abdellatif Ajana n’a pas la grosse tête. C’est un homme à la fois humble et réservé, au faciès souriant et au profil bas.
Un carriériste qui a beaucoup apporté à son pays au moment où il manquait de cadres nationaux compétents.
Né au milieu des années quarante à Meknès, Abdellatif ne va pas perdre de temps pour percer dans les études, puisqu’il sera diplômé de l’Ecole Mohammédia des ingénieurs à tout juste 21 ans. Nous sommes alors au lendemain de l’indépendance, une époque où le Maroc cherche à «marocaniser» des postes de direction et de maîtrise dans des entreprises comme la Samir, ou des firmes fraîchement créées à l’image de la Somaca. C’est dans cet esprit que le patron de celle-ci à l’époque, M. Belarbi, prospecte jusqu’à six mois à l’avance les futurs lauréats qui présentent des profils adéquats et prometteurs.
C’est donc, ce «chasseur de têtes» qui va remarquer M. Ajana en 1965 et lui proposer d’intégrer la société marocaine de construction automobile au sein de sa division technique. Pour le jeune diplômé, une telle tâche n’était pas si évidente ; il est l’un des rares marocains, à superviser le travail d’Européens, que l’on retrouve même en tant que chefs d’atelier. Le jeune cadre va très vite se distinguer et être promu Directeur technique, alors qu’il n’a que 31 ans. Mais, la même année (1975), un ambitieux objectif est assigné à la Somaca : produire 25.000 véhicules. Sous la houlette de Abdellatif Ajana, ce volume sera non seulement atteint, mais dépassé. C’est d’ailleurs la seule année où cette entité de montage parviendra à un tel seuil de production. Fier d’avoir relevé un tel défi avec brio, Abdellatif Ajana ne va pas en rester là. Car, au moment où la Somaca voit progressivement ses volumes baisser, M. Ajana décide de dédoubler sa formation en ingénierie d’une autre en management. Il l’effectuera dans une institution nationale supérieure encore toute jeune en cette seconde moitié des années 70 : l’ISCAE. C’est, entre autres, ce qui conduira ses destinées vers Sopriam, une filiale constituée par l’ONA en 1980 et faisant partie d’une quinzaine de sociétés opérant dans différents domaines relatifs à l’automobile, industriels et commercials (sous-traitance, vente de pièces détachées, fabrication de composants…). M. Ajana y entre en 1983, puis deux ans plus tard, en chapeaute l’ensemble des activités automobiles. Il est alors âgé de 41 ans et a la charge de restructurer cette entreprise. En vertu de sa qualité de Directeur général de Sopriam, il en revoit l’organisation, la débarrasse de plusieurs petites structures non rentables et concentre toute son activité sur la vente directe de véhicules Peugeot. Les choses vont bon train pour la marque au lion, dont la présence et l’image sont considérablement renforcées dans les principales villes du Maroc, via des succursales et non pas uniquement des concessionnaires. Mais, Abdellatif Ajana est un visionnaire en quête de nouveaux challenges. Celui de 1987 s’appelle Citroën. Une marque alors en manque d’image dans le Royaume, mais qu’il parviendra non seulement à introduire dans le giron de Sopriam, mais à en réussir le déploiement national, à travers une structure et une identité indépendantes. Vint alors l’ère de la libéralisation du secteur et de la signature de la convention de la «Voiture Economique» avec Fiat Auto Maroc, en1995. Une donne qui va «booster» les ventes d’automobiles au Maroc, tout en bouleversant le marché. A tel point (selon lui) que l’ONA a même pensé se désister de ce secteur. Mais «Si» Abdellatif a été là, usant de tout son doigté en matière de communication et négociant (aux côtés de Renault Maroc) avec le ministère du Commerce et de l’Industrie la Convention des «Véhicules utilitaires légers économiques». Il sera d’abord question d’utilitaires comme le C15, avant l’arrivée des Peugeot Partner et Citroën Berlingo. Deux ludospaces qui vont doper les ventes de Sopriam de 8500 à quelque 14.500 unités en une année (2001).
Parallèlement à son activité et vu toute la probité et le sérieux qu’il affiche dans l’exercice de ses fonctions, M. Ajana sera choisi, en 1995, puis en 1998, par ses homologues pour prendre la présidence de la Fédération de l’automobile, qui dépend de la CGEM. Face à cette institution, deux autres associations ont des intérêts plutôt antinomiques: l’AMICA (l’Association marocaine pour l’industrie et la construction Automobile) et l’AIVAM (l’Association des importateurs de véhicules automobiles au Maroc).
En effet, la première prône la protection de l’industrie automobile marocaine, tandis que la seconde appelle à la baisse substantielle des droits de douane, pour rendre plus accessible les voitures. Avec sa double casquette d’industriel et de commerçant, Ajana, a donc la mission (assez ardue) de concilier entre ces deux associations. Il est à la fois pour la libéralisation du marché marocain et pour le développement d’une industrie de montage automobile au Maroc, mais croit aussi dans l’avenir du Maroc en tant que grand exportateur de composants pour véhicule et notamment tout ce qui est câblage. Avec une telle carrière derrière lui, M. Ajana peut partir l’esprit serein. En son règne, Sopriam n’aura pas connu qu’une totale refonte de son organisation, mais sera (grâce à lui) devenu le premier groupe importateur automobiles au Maroc, avec 30 % de part de marché, mais aussi le premier à avoir été certifié ISO 9001 version 2000 (en 2003). Lui, reste pourtant modeste et reconnaissant : «Je ne suis qu’un chef d’orchestre… Sopriam, c’est une équipe, des hommes et des femmes qui ont beaucoup travaillé». Et au travail, Abdellatif s’y est tellement consacré qu’il n’a pas beaucoup profité de son temps libre. Aujourd’hui, M. Ajana n’a plus que quelques semaines encore à passer chez Sopriam, histoire d’assurer la transition des affaires courantes au nouveau P-dg, M. Benkirane. Après quoi, ce sont les joies des moments en famille et du temps libre à souhait qui l’attendent. Une chose est sûre : son départ laissera un vide dans le milieu automobile marocain, un secteur dont il a accompagné l’évolution sur près de quarante ans.

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