Chroniques

100% Jamal Berraoui : La complainte inutile

© D.R

Ce matin, ma mère s’affaire sérieusement, elle m’a réveillé à 8 heures, ce qui ne m’était plus arrivé depuis très longtemps, c’est que l’événement est de taille, mon frère Ali va revenir avec Lakbira, ma cousine, son épouse. Cela devrait m’ennuyer parce que je vais devoir partager la chambre de ma mère pour lui réserver celle que nous partageons, pourtant cela me soulage. Pendant longtemps, j’ai été la fierté de Khouya Ali, il m’emmenait chaque fois qu’il touchait sa paye en ville boire un verre avec ses copains, à qui il rappelait inlassablement que j’étais le seul licencié du Douar Si M’Barek, notre bidonville. Puis, nos relations se sont dégradées, il faisait le lien entre mon chômage et son statut de célibataire et ne cessait de me rappeler que « rien qu’avec ce qu’il a dépensé pour mes timbres et photocopies, il aurait pu louer une baraque ». Au fil des ans, son regard a viré de protecteur en inquisiteur, c’est ce qui a été le plus difficile à vivre. M’hamed, mon ami d’enfance, lui, a résisté plus longtemps. Aide-boucher, il m’offrait chaque jour quelques cigarettes, un verre de thé chez Ould Al Farjua et partageait avec moi quelques bières de temps en temps. Il lui est même arrivé de m’emmener à Chellalat voir les femmes. J’avais du mal à lui expliquer que les diplômés qui se faisaient réprimer devant le Parlement étaient des privilégiés, puisqu’ils avaient de quoi se déplacer jusqu’à Rabat et qu’en plus, ils sont tous docteurs ; moi, je ne suis que licencié et je n’ai pas eu le privilège de pousser mes études plus loin. M’hamed est devenu Sounni, chaque fois qu’on se retrouve, il me conseille d’aller à la mosquée. Dernièrement, il me voit bien partir en Palestine ou en Irak, mais moi je n’ai même plus de colère à faire exploser. Pourtant, de la colère, j’en ai eue quand Hiba m’a plaqué. Hiba, c’est l’amour de ma vie, on s’était  promis de sortir de la misère, de fonder un foyer, d’aider nos parents respectifs à trouver des logements plus décents. Elle a tenu sept mois, pas un de plus, voyant mon avenir bouché, elle est montée à Tanger, ses parents ont acheté une maison à Sidi Bernoussi, son frère à loué une téléboutique et elle, elle travaille dans un cabaret à Tanger. Au début, je lui en voulais, aujourd’hui, je me dis que c’est comme le reste, les gens même quand ils vous aiment désespèrent avant vous.
Mon frère m’a couvé pendant des décennies, M’hamed avait une réelle amitié pour moi, ils me regardent à peine. Le seule qui n’en démord pas c’est ma mère. L’autre jour, elle a insulté une voisine qui me proposait de travailler comme porteur à Souk Sebt en lui rappelant tous les efforts fournis par la famille pour que je puisse faire des études et par la même occasion que j’ai toujours été premier alors que son fils était cancre. Seulement son fils est marchand de légumes à Souk Sebt et il me propose un job de porteur. Ma mère, c’est la douceur même. Elle touche une pension de 700 DH par trimestre, m’en donne toujours 100 DH, ce qui me permet d’aller au bain, chez le coiffeur et de descendre en ville, c’est-à-dire à Sidi Bernoussi prendre un café. Sa pension a été revalorisée, elle touche maintenant 890 DH par trimestre. Elle l’a caché à mon frère Ali et m’a promis de me donner 200 DH par trimestre. Aujourd’hui, elle est heureuse, maintenant que mon frère a épousé sa fille, mon oncle sera peut-être touché par la grâce de Dieu et lui donnera enfin sa part d’héritage qu’elle utilisera pour m’acheter un petit commerce, peut-être même que mon oncle consentira à me donner en mariage, Sofia, son autre fille, qui sait ? Ma mère est bien la deuxième personne à croire qu’un chômeur de 43 ans, licencié en géologie, a de l’avenir.

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