Chroniques

100% Jamal Berraoui : La presse et la bonne foi

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Ma position est constante depuis que le débat s’est installé il y a une bonne dizaine d’années : le journaliste n’est pas au-dessus de la loi. Dès lors la politisation de tous les procès est un subterfuge qui contrairement aux professions de foi qui le fondent, est une entrave à la construction de l’Etat de droit. Les avocats, «spécialisés», qui adoptent toujours la stratégie de la rupture, y compris quand le plaignant est une personne physique ou morale, en appellent simplement à un jugement politique né d’un rapport de forces, la négation même d’un Etat de droit. Ainsi tout le monde sait que la Cour d’appel n’accepte que les éléments produits en première instance, quitter celle-ci c’est refuser de plaider en appel. Cette tactique est en fait un défi lancé à la justice, présupposant des moyens de défense hors des prétoires. C’est cela qui m’est insupportable, parce que cela signifie que l’on veut forcer la main au politique pour amadouer la justice. Quand ce sont les mêmes qui nous rabâchent à longueur de journée leur attachement à l’indépendance de la justice, il y a nécessité d’un vrai débat pour savoir qui est quoi réellement. Cela dit, il faut reconnaître que nous avons deux problèmes essentiels. Le premier concerne les lois en vigueur que les différents protagonistes, ministère en tête, estiment dépassées ou en tous cas en inadéquation avec l’avancée de la construction démocratique. Il y a donc urgence à en adopter d’autres plus en rapport et si possible, acceptées par tout le monde. Sur ce chapitre je resterai ultra-minoritaire parce que je reste attaché aux peines privatives de liberté quand il y a mauvaise foi manifeste. Le second problème est que nous n’avons pas de jurisprudence ni de chambre spécialisée. C’est ce qui explique les différences de jugement nés du fameux pouvoir d’appréciation du juge. Ainsi, pour le même délit, certains ont eu droit à des dommages atteignant 10 fois celle imposée au copain d’en face. Il faut donc veiller à régler les deux problèmes en même temps, c’est-à-dire prévoir dans les nouvelles dispositions des chambres spécialisées avec la possibilité de justice en référé. C’est alors celle-là qui pourra saisir les publications à la demande des plaignants, fussent-ils les pouvoirs publics eux-mêmes. Dans ce contexte, il est évident qu’il faudra préciser la notion de bonne foi, qui est la pierre angulaire de tout échafaudage juridique concernant la presse en démocratie. Elle est l’outil de défense le plus performant sous d’autres cieux. Chez nous, elle n’est pas précisée, et surtout on a l’impression qu’elle n’est pas prise en compte. Prenons l’exemple de «La Mañana». Il est évident qu’il ne s’agit pas ici d’un repaire de révolutionnaires attardés, ni de mercantiles manipulés. Ce qui s’est passé est une erreur grotesque. Que le journal soit traîné en justice relève de l’égalité devant la loi, mais, il devrait largement bénéficier de la notion de bonne foi. L’exemple le plus frappant est celui de «TelQuel» face à Madame Jaïdi. L’information fausse, insidieuse, avait été publiée par plusieurs journaux dont l’hebdomadaire casablancais. Les torts sont réels, chiffrables, puisque la dame dans son activité associative a dû faire face à la réticence de ses donateurs. Mais «TelQuel» a été le seul journal parmi les fautifs à s’excuser dans un éditorial et à reproduire le démenti, bien avant les poursuites par ailleurs. Cela n’efface pas la faute, mais aurait dû atténuer les conséquences. On sait ce qu’il en fut, c’est «TelQuel» qui a écopé de la plus grosse amende. Noureddine Miftah a refusé de plaider devant les médias et accepté la  procédure comme régulière. Nous avons échappé au ridicule avec l’acharnement de M. Ktiri pour impliquer les résistants dans ce procès. Le jugement aurait pu tenir compte des excuses des concernés et se limiter à l’amende maximale qui a été prononcée. Cette notion de bonne foi n’est pas une atteinte aux droits des autres, elle sert seulement à faire le distinguo entre le journaliste qui a pris les précautions d’usage mais s’est trompé et celui qui, sciemment, a voulu attenter à l’honneur de quelqu’un. Ce distinguo est énorme, il sépare les honnêtes gens en faute des mercenaires sans scrupules. C’est pour cela qu’elle me paraît fondamentale et qu’il faut la codifier.

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