Chroniques

100% Jamal Berraoui : Le débat est posé

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Ali Amar s’est désolidarisé de l’appel pour les libertés individuelles. Il s’en explique largement dans un éditorial, qui a le mérite d’appeler un débat. En résumé, il trouve que le texte ne va pas au fond des choses, qu’il n’appelle pas un chat un chat et qu’il est trop alambiqué, c’est un point de vue respectable, même si à mon sens, l’existence de l’appel est un bon début. La question des libertés individuelles au Maroc est indissociable du rôle de la religion. Et puisque Ali veut qu’on appelle un chat un chat, la situation actuelle relève de l’Etat de non droit le plus patent. Tout ce que nous voyons dans nos rues, comme exercice de la vie est illicite, mais il est toléré. Les islamistes nous menacent d’appliquer la loi, ce qui est un comble. Aujourd’hui, le combat n’est pas de défendre des espaces de tolérance, qui resteront toujours fragiles mais d’arracher des droits, inscrits, opposables à tous. C’est un combat qui mène droit vers la revendication de la laïcité et du renvoi de la religion à la sphère privée. Par manque de lucidité et de courage, l’élite marocaine n’a jamais réellement revendiqué la sécularisation de la religion. Le fait que celle-ci participe de la légitimité monarchique a compliqué les choses.
La laïcité au Maroc est perçue à travers l’expérience française. Celle-ci a été très douloureuse et Sarko vient de raviver la lutte entre le curé et l’instit. L’expérience française est propre à l’histoire de ce pays. La sécularisation de la religion n’est pas la guerre contre la foi. Il faut nous en convaincre nous-mêmes avant de tenter de convaincre la société. Il y a une formule que j’aime beaucoup «la loi doit préserver la foi tant que la foi n’entend pas dicter la loi».
Le faux débat sur l’Islam tolérant et l’obscurantisme n’a pas lieu d’être. C’est aux théologiens de régler leurs problèmes et aux croyants d’adopter la lecture qui leur sied. Les démocrates eux doivent s’attacher à ce que l’espace public ne soit nommé que pour les lois, le droit positif.
Là où Ali Amar a raison  c’est qu’effectivement à trop diluer le discours on lui fait perdre toute pertinence sociale. Je viens d’une école où l’on sait que l’on ne modernise pas une société, par effraction, sans qu’elle s’en aperçoive. Or, qu’est-ce que la modernité ? C’est d’abord l’émergence, l’émancipation de l’individu, capable de choisir sa vie, ses convictions. La démocratie c’est le cadre qui permet cette émancipation et la lie à un destin collectif.
L’émancipation de l’individu cela signifie des droits clairement énoncés.  La liberté pour tous les adultes de disposer  de leurs corps, la liberté de conscience, sont aussi primordiales en démocratie que la liberté d’expression. Les raisonnements différentialistes qui voudraient que l’Islam soit une religion particulière inapte à cohabiter avec la laïcité sont condescendantes. Toutes les religions avaient pour but de régenter la vie sur Terre. Elles ont dû accepter d’être éloignées de l’espace  public. Ceci ne signifie aucunement qu’elles n’impactent pas la vie sociale.
De la même manière que lier la foi à la morale, comme si les athées  n’en avaient aucune est une insulte à l’intelligence humaine. Le corpus éthique est universel parce qu’il est le produit de l’histoire de l’humanité. Poser la question de la laïcité aujourd’hui, y compris dans ses dimensions institutionnelles ne peut s’arrêter aux principes. Il nous faut innover pour trouver une voie marocaine vers la sécularisation  de la religion. Ce n’est pas une manière de céder devant la difficulté mais le fait est qu’il n’y a aucun modèle transposable en la matière. Ataturk l’a fait dans des conditions historiques exceptionnelles et par la dictature. L’expérience tunisienne n’est pas du tout concluante, celle du Baas a tourné court dès l’apparition de la mouvance intégriste. Le Maroc peut s’appuyer sur sa diversité, son histoire mais nous devons innover et trouver une voie propre.
En attendant, la défense des libertés individuelles est une urgence, surtout qu’elles sont frontalement agressées par le camp rétrograde. Il faut aller plus loin que l’appel et créer une ligne de défense de ces libertés. La perspective historique reste l’inscription de ces droits dans la loi. Ce combat n’est pas un luxe, il conditionne l’accès à la modernité.

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