Chroniques

100% Jamal Berraoui : Mémoires défaillantes

© D.R

Tous les observateurs réclament aux acteurs du Mouvement national et à ceux du Maroc post-indépendance, encore en vie, de nous livrer les secrets d’une période tumultueuse. Un historien a réussi à faire parler les anciens de l’Armée de libération nationale, mais s’est engagé à ne procéder à la publication qu’après la disparition de l’ensemble des acteurs. Il s’appelle Moussaoui Ajlaoui et possède désormais le fonds documentaire le plus important sur cette partie de notre Histoire. Ni Youssoufi, ni Boucetta, ni Benseddik n’envisagent de nous livrer l’histoire de plus de 60 ans d’action politique. Par contre, du côté de ceux qui étaient au service du Palais, les langues se délient. Abdellatif Filali en a fait un livre qui pèche par deux défauts rédhibitoires. D’abord il ne se sent aucune responsabilité dans le bilan accablant qu’il dresse lui même. A le lire, ses 47 ans au service de Hassan II n’étaient qu’un poste d’observation, alors même que le Doc a été Premier ministre. Ensuite, et c’est le plus grave, il décrédibilise  l’ensemble en s’inventant des «actions héroïques». Ainsi, l’alternance consensuelle ne date que de 1998, les acteurs, les observateurs, les journalistes qui l’ont suivie sont encore en vie. Selon le Docteur Filali, il aurait confectionné le gouvernement avec feu Driss Slaoui, Youssoufi n’ayant ajouté que deux noms. C’est du délire !
Le cabinet Youssoufi est celui qui a pris le plus de temps entre la nomination du Premier ministre et celle du gouvernement. Et pour cause ! l’Istiqlal bafoué par les résultats des élections truquées a dû faire un congrès extraordinaire, changer de direction, avant d’accepter la participation au gouvernement en exigeant un nombre de maroquins conséquent. Les noms de ministrables a valsé jusqu’au dernier moment dans tous les partis de la coalition, plusieurs noms n’ayant été repêchés qu’à quelques heures de la présentation au Roi. Et Filali n’était même pas dans la confidence ! L’autre serviteur zélé qui nous sert ses mémoires, le fait par voie de presse. Exercice très risqué surtout quand il n’y a pas de relecture et que la personne concernée est d’un âge fort avancé. Abdelhadi Boutaleb a émis beaucoup de jugements de valeur non étayés sur ses contemporains. En particulier les dirigeants du Mouvement national, Youssoufi en tête. Lui aussi nous révèle un anti-basrisme de circonstance, qui ne l’a pas empêché de travailler avec le flic de Settat pendant des décennies et surtout des jugements sur Hassan II, au moins très tardifs. On sait que Boutaleb et Filali ont quitté le sérail pour des histoires relevant de la vie privée de leurs descendants et non en défense d’une certaine idée de la chose publique. Ce genre de mémoires tronquées, instrumentalisées, sont d’autant plus dommageables que dans le camp en face c’est l’omerta qui prime. Parce qu’ils ont à la fois une histoire chargée de zones d’ombre et un profond respect pour cette même histoire, les dirigeants issus du Mouvement national refusent de témoigner. Pourtant la réécriture de l’Histoire de ce pays, à défaut d’archives (aucun parti n’en a !), a besoin des témoignages des acteurs. Le passage de témoin à la génération future est à ce prix. En refusant de parler, Abdeslam Jebli, Hachemi Filali, M’hamed Boucetta, Yousoufi, Bouniaâlat, Mahjoub et les autres se laissent voler leur histoire, la nôtre. Nous assistons à une falsification reliftée qui s’imposera comme version si le vide persiste. Le Maroc reconcilié n’est pas le Maroc de l’oubli. Si tous les parcours sont assumés, il y en a de plus honorables que d’autres. Ceux qui ont profité du système pendant plus d’un demi-siècle ne peuvent pas déverser des tonnes d’insanités sur ceux qui ont subi la répression parce qu’opposants au despotisme. Les anciens cadors du régime peuvent nous raconter l’envers du décor, la prise de décision et sa confection, les luttes intestines, les doutes et les certitudes et, pourquoi pas, les justifications d’un régime au bilan désastreux. Qu’ils se tiennent aux faits et ils rendront un service à la nation à même d’absoudre leur participation à une gestion qu’ils condamnent eux-mêmes. Le livre de Filali est hyper-intéressant quand il narre l’action de Hassan II à l’international. Parce que là, il raconte des choses vécues. Le fkih Boutaleb s’est probablement laissé piéger par le mode questions-réponses, au point d’oublier qu’il a eu en charge l’Enseignement, la Justice et bien d’autres dossiers. Les silencieux, eux, savent qu’ils n’ont pas été des enfants de chœur, même et surtout entre eux. Il est temps qu’ils racontent la vérité s’ils ne veulent pas que leurs petits-enfants lisent une histoire écrite par ceux qui jouaient au touti avec Hassan II.

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