Chroniques

A dire vrai…Auront-ils la patience d’attendre ?

© D.R

Sur cette belle avenue de la capitale, je presse le pas vers la gare ferroviaire, impatient de prendre le train pour Casablanca. Devant l’édifice du Parlement, je suis surpris par des jeunes qui, courant en sens contraire, ont failli me renverser. À peine remis de ma stupéfaction, des agents des forces de l’ordre surgissent, lancés à leurs trousses. Je m’écarte de leur chemin et me refugie dans le café adjacent. Ironie de l’histoire, d’autres jeunes leur emboîtent le pas, comme s’ils courraient après les poursuivants ! Triste spectacle de la détresse de la jeunesse. Dans le train, je parcours les titres de la presse. Des jeunes du Mouvement du 20 février manifestent à Béni Mellal. Leur marche se transforme en actes de vandalisme. Taza s’enflamme. Salé n’est pas en reste. Démoralisé, je renonce aux journaux et, dans ce wagon pratiquement vide, m’abandonne à la chaleur de l’après-midi qui s’évanouit lentement dans la douceur du soir tombant. Une heure et demie plus tard, un taxi me dépose devant chez moi. Pendant que je règle la course, j’entends une sourde clameur. Graduellement, elle monte en intensité, se fait plus proche. Des jeunes, venant du boulevard tout proche, se sont engouffrés dans les ruelles du quartier et courent dans tous les sens. Comme s’ils fuyaient, ils se marchent sur les pieds, et filent les uns derrière les autres vers les quartiers populaires, là où ils résident en majorité. Leur flot semble interminable. Leur âge ne dépasse pas la vingtaine. Les habits dépenaillés, les mines sales, l’air agressif, ils lancent des propos menaçants aux passants qui s’écartent de leur chemin à la recherche d’un abri. Certains jettent des pierres sur les vitrines qui se trouvent sur leur passage. Les commerçants n’ont d’autre choix que de se barricader au fond de leurs magasins et d’attendre la fin de l’orage. Je m’empresse de rentrer chez moi. Un groupe se met à harceler la porte de jets de pierres. Apeurés par la caillasse qui fracasse les vitres, les miens se dépêchent de fermer les volets des fenêtres. De mon balcon, j’aperçois une jeune fille cernée par un groupe aux intentions manifestement malsaines. Deux concierges d’immeubles voisins s’interposent courageusement et libèrent la victime avant que la situation n’empire. Les jeunes se détournent de leur proie et, déchaînés, s’en prennent à une voiture. Certains montent sur le toit de leur nouvelle prise et piétinent le capot du moteur comme dans une danse de guerre, d’autres arrachent les rétroviseurs et rayent la tôle de la carrosserie. Forcé de quitter son véhicule, le conducteur lève les mains vers le ciel, tente de raisonner les jeunes insensibles à ses lamentations. De guerre lasse, il recule et, de loin, se résigne à constater les dégâts. L’atmosphère est suffocante. Comme si la ville était en proie à une émeute, livrée au pillage. Cela dure de longues, de très longues minutes. Une demi-heure plus tard, le flot commence à se tarir, laissant derrière lui des vitrines défoncées, des glaces brisées, des voitures saccagées, des passants terrorisés. Tout cela, parce que les jeunes n’ont pas aimé l’issue du derby qui a opposé leur équipe favorite de football à sa rivale. Au fil des matchs, Casablanca vomit de ses entrailles des jeunes désœuvrés en nombre incalculable qui, le temps d’une partie de football, tentent d’oublier la dureté de leurs conditions. Advenant que leur équipe morde la poussière devant son adversaire pour qu’aussitôt ils déversent leur colère sur un monde qui les a oubliés, prennent leur revanche sur une société qui n’a rien prévu pour eux, et démolissent les signes d’une richesse qui, après leur avoir été refusée à la naissance, leur devient irrémédiablement inaccessible au fil du temps. Simples hooligans, oserais-je dire, ou jeunes désespérés, combien sont-ils dans ces conditions ? Les chiffres donnent le tournis. Deux cent mille arrivent chaque année sur le marché du travail. Seuls cent mille sont casés. La moitié de la population est jeune. Aux alentours de 25 ans. Le pays bat des records de chômage. Peu importe les raisons. Seule compte la solution. Qui va régler ce problème ? Comment ? Par quel moyen ? Dans quel délai ? Les jeunes auront-ils la patience d’attendre ? Vaste programme, comme dirait le Général De Gaulle. En attendant, je prie pour un miracle. Et les miracles sont à la portée des bonnes volontés.

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