Chroniques

A dire vrai… Le temps d’une Coupe

© D.R

Mon téléphone portable sonne. Je réponds.

– Allô, désolé, je vais devoir reporter notre rendez-vous à plus tard.

– Ah bon ? Tu as un empêchement de dernière minute ? Rien de grave j’espère !

– Non, juste que je viens de réaliser que ça coïncide avec le match de la Coupe du monde. Tu ne m’en veux pas j’espère !

– … ?

Je fulmine contre mon ami Hamid, mais ne laisse rien transpirer. Il va falloir que je change tous mes plans pour le reste de la journée. Dire que je m’étais organisé pour mettre la touche finale à ce projet commun qui nous tient à cœur.
J’appelle mon collaborateur. Le téléphone sonne plusieurs fois. D’habitude, il répond sans tarder. Je laisse tomber. Il finira par rappeler.
J’appelle mon épouse.

– Tu as récupéré les enfants ?

– Oui, mais on va tarder.

– Vous êtes où ?

– Chez ta sœur. Les enfants veulent voir le match de football avec leurs cousins.
– Ils peuvent le voir à la maison…
– Oui, mais tu sais bien, tu n’aimes pas le football. Ils préfèrent rester avec leurs cousins pour l’ambiance. Tu comprends…

– … ?

Le reste de ma journée est chamboulé. Je quitte le bureau, un peu perdu. Direction chez moi.
Dehors, j’ai une drôle de sensation. La rue me semble inhabituelle, comme… moins encombrée… un peu plus calme. Pourtant, ce n’est pas la période des vacances scolaires où les gens prennent la clé des champs avec leurs enfants. Bof, je ne comprendrais jamais rien aux habitudes des citadins. Je décide de rentrer à pied. C’est tellement rare de voir des trottoirs aussi dégagés.

En cours de chemin, je pense à mon ami Ba Jalloul. L’envie me prend de lui rendre visite à son café habituel. Il y a longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Cela me changera les idées. J’apprendrai sûrement des choses nouvelles. Sur la politique, ou les affaires, peu importe. Ba Jalloul a ce chic de vous parler de ce qui parvient rarement aux rédactions des journaux.
J’approche du café. J’aperçois un spectacle inhabituel.

Les chaises et les tables occupent la totalité du trottoir. Toutes orientées dans le même sens, vers l’intérieur de l’établissement. Le dos tourné à la rue, leurs occupants sont scotchés à un écran de télévision. Comme s’ils étaient dans une salle de spectacle. Soudain, ils se lèvent tous comme un seul homme. Leur clameur ébranle le quartier. Des jurons pleuvent sur le bougre qui a raté son tir si près du but.

Je parviens au café. Je cherche Ba Jalloul des yeux. J’ai du mal à le repérer. L’endroit est bondé. Les tables serrées. Les clients, un œil sur l’écran, les mains tournoyant dans l’air, sont lancés dans des discussions enflammées et des analyses savantes sur les choix des sélectionneurs, la magie du dribble de tel joueur, la bêtise de la passe de tel autre, l’incompétence manifeste de l’arbitre. Bref, ils sont dans un monde à part.

Je finis par apercevoir Ba Jalloul. Curieusement, il ne regarde pas la télévision. Il est plongé dans son journal. Il est là, mais sans être là. Il est dans son univers, indifférent à celui qui l’entoure.
Je renonce à le voir, incapable de me frayer un chemin jusqu’à lui. Je poursuis ma marche vers chez moi. Je comprends maintenant pourquoi les rues sont si calmes. À part une clameur qui vient de nouveau de s’élever du café de Ba Jalloul.

J’arrive chez moi. Au moment où je sors la clé pour ouvrir la porte de la maison, je reçois un sms.
«Désolé, je viens de voir votre appel en absence. Je regardais le match».
Je comprends que le match s’est enfin terminé ! Mon collaborateur vient de revenir sur terre. Les enfants vont bientôt rentrer à la maison. Mon ami Hamid me rappellera sûrement pour fixer un autre rendez-vous. Je reverrai Ba Jalloul une autre fois.

La vie reprend ses droits. Jusqu’au prochain match. Jusqu’à la fin de la Coupe du monde.

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