Chroniques

A dire vrai… Les flots funestes

© D.R

Ils avaient traversé les déserts, grimpé les montagnes, parcouru les plaines. Rien ne pouvait les détourner de leur but.

Ils avaient réuni leur maigre fortune et l’avaient confiée à des vendeurs de rêves qui leur avaient promis de les emmener aux portes du paradis.

Ils avaient bravé les éléments, vécu dans la promiscuité, ignoré le danger. Ils avaient supporté le racket, avalé les vexations, enduré les difficultés. Rien ne pouvait se dresser devant leur quête. Pour finalement s’entasser dans un frêle esquif à cinq cents, les uns sur les autres.

La mer Méditerranée s’ouvrait devant eux comme la mer Rouge devant Moïse.
Le miracle finit par se produire lorsqu’ils arrivèrent à Lampedusa, la porte de l’Eldorado. La terre promise s’offrait finalement à eux. Elle était à portée de main. Leur calvaire était arrivé à son terme. Leurs efforts allaient être récompensés.

Et juste au moment où il ne leur restait plus qu’à quitter leur habitacle de fortune, juste au moment où il leur suffisait de débarquer sur la terre ferme, l’impensable arriva, l’inimaginable se produisit, l’invraisemblable survint.
Le bateau de fortune sombra au large de l’île sicilienne en ce début d’automne 2013. Le deuxième naufrage en une semaine. Un énième drame de l’immigration illégale. Plusieurs centaines de ces malheureux périrent. Les quais de la petite île italienne étaient devenus une morgue à ciel ouvert.

La tragédie qui se déroule dans la grande mare bleue est d’une ampleur terrifiante. Selon des sources officielles, 25.000 réfugiés sont morts en Méditerranée au cours des 20 dernières années dans leur quête des paradis du Nord, dont au moins 6.000 près de la Sicile, Malte, Lampedusa et les côtes libyennes. Plus de 100.000 personnes furent sauvées au cours des 10 dernières années par les différentes marines militaires ou les bateaux de pêcheurs ou de commerce.

Combien faudrait-il encore de morts pour que les consciences se réveillent ? Le Pape François n’eut d’autre mot à la bouche que «la honte» devant le drame de Lampedusa, fustigeant la «mondialisation de l’indifférence».
L’émotion fut forte en Europe. La maire de Lampedusa fondit en larmes devant ce qu’elle qualifia d’horreur en voyant les nombreuses dépouilles dont on ne savait que faire.

Mais peut-être qu’avant de savoir comment arrêter l’hémorragie des migrants clandestins, faudrait-il se poser la question à qui la faute. Car, tout le monde sait pourquoi ces êtres fuient leurs pays et bravent les dangers en toute connaissance de cause. Choisir de courir d’incroyables risques pour un résultat incertain, au lieu de supporter les conditions de vie chez soi donne une idée de l’intensité du désespoir. Un désespoir nourri certes par des conditions économiques déplorables pour la plupart, mais également par des violations des droits humains à large échelle pour certains, ou par une répression à la fois religieuse et politique pour d’autres.

Contrairement à ce que l’on entend souvent, les migrants ne sont pas seulement de nature économique, mais souvent des personnes à la recherche de la protection que leur dénie leur État.
À qui la faute ? À ceux qui ont en charge le destin de leurs peuples. À ceux qui, par leurs décisions, n’offrent à leurs citoyens que la fuite vers d’autres cieux. Des hommes et des femmes que rien n’effraie, ni retient, ni décourage, pourvu qu’ils échappent aux conditions de vie offertes par leurs gouvernants.

Par ailleurs, combien d’individus vivent les mêmes conditions et ont les mêmes sentiments que ces âmes qui gisent au fond de la Méditerranée, mais qui n’ont pas la témérité d’entamer une aventure fatale et se résignent à endurer leurs souffrances en silence, n’osant ni affronter les flots de la mort, ni faire entendre raison à leurs politiques.
Jusqu’à quand continuera-t-on à s’émouvoir devant les tragédies qui frappent des centaines de malheureux forcés à quitter à leurs pays, pendant que leurs gouvernants, indifférents aux malheurs de leurs peuples, se soustraient au jugement de l’Histoire, échappent au verdict de leurs citoyens, ne leur laissant d’autre choix dans la vie que de périr dans des flots funestes ?

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