Chroniques

A dire vrai… les responsables et… les autres

© D.R

– Chaque fois que je me balade en ville, je suis obsédé par la même question, dis-je avec amertume.
Karim ne réagit pas. Trop occupé à conduire. Tout à tour, il tance le conducteur qui lui a refusé la priorité, le cyclomoteur surgi de nulle part, la piétonne qui traverse en regardant ailleurs.
– T’es obsédé par quelle question ? me demande-t-il entre deux jurons.
– Est-ce qu’ils voient ce que je vois ?
– Qui ils ?
– Ceux qui ont un gramme de responsabilité dans cette ville.
Mon ami part d’un rire franc.
– Tu peux rire, bougonné-je, quelque peu offusqué.
– Je ris lorsque j’entends le mot responsable, dit Karim, plus sarcastique que jamais, prêt à invectiver l’auteur de la première incartade de conduite. Je ne sais pas ce que ça veut dire. J’en connais pas. Et tu vois quoi au fait ?
– Des chaussées défoncées. Je me demande s’ils les voient. Une signalisation défaillante. J’ai l’impression qu’ils ne circulent pas en voiture. Des détritus qui ont envahi nos quartiers. Ça ne semble pas les incommoder.
– C’est tout ? dit Karim en brûlant allègrement un feu passablement mûr.
– Non, c’est pas tout ! dis-je, contenant mon irritation avec peine. Je vois des jeunes qui sniffent au lieu d’être à l’école. Des mendiants à tous les coins de rue, sans trop savoir si ce sont des vrais ou s’ils en ont fait une profession. De jeunes filles qui s’adonnent au vieux métier au grand jour.
– On dirait que tu découvres. C’est notre quotidien cher ami ! Rien de nouveau à l’Ouest !
– Peut-être. Mais je n’arrive pas à m’y habituer. Tiens, les sorties de lycée me font peur. Je vois des jeunes, inquiets pour leur avenir. Comment vont faire les générations futures pour travailler, se loger, se soigner, avoir des enfants… Ça aussi ils ne le voient pas ? Et ces marchands ambulants ? Ils ne peuvent pas se payer le loyer d’un local, c’est hors de prix. Reste les rues et les trottoirs. Et qu’est-ce qu’on fait pour eux ? On les pourchasse ! Mais où peuvent-ils aller ? Ce sont des Bouazizi en puissance. Et ces filles qui se font harceler dans les rues… et cette circulation où les gens étouffent… et ces conducteurs qui ignorent les règles simples de la courtoisie… Et ces gens qui prennent les rues pour leur vide-ordures…
– Tu ne t’es pas réveillé du bon pied ce matin, dit Karim, agacé.
Sans crier gare, il appuie rageusement sur le klaxon, assourdissant du coup le voisinage, sort la tête par la fenêtre, lance une bordée d’injures au conducteur qu’il vient de croiser, puis se retourne vers moi :
– C’est maintenant que tu réalises ce qui ne va pas ? Ça date pas d’aujourd’hui ! Où veux-tu en venir ?
– Ça date peut-être pas d’aujourd’hui. Sauf que continuer à faire comme si nous mènera droit au mur.
Karim ne m’écoute plus. Arrivé au feu rouge, il déverse sa rage sur le taxi qui s’est arrêté à son niveau. L’échange est peu amène. Des noms d’oiseaux volent. Je crains que Karim n’en vienne aux mains. Heureusement, le feu passe vite au vert. Les deux hommes démarrent sans avoir épuisé tous leurs griefs. Ils poursuivent leur querelle à distance, en se promettant de régler leurs comptes bientôt.
– Tu disais que nous allions droit au mur ? me relance Karim, manifestement frustré de ne pas avoir mené l’altercation à son terme.
Je refrène ma frustration.
– Oublie ce que je disais à propos des responsables, laissé-je tomber dans un soupir. Dans pas mal de ce que j’ai vu aujourd’hui, ils n’y sont pour rien.

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