Chroniques

A dire vrai… Les vents du printemps

© D.R

Ils étaient des dizaines. Ils étaient des milliers. Ils descendirent dans la rue, durant le printemps. Personne ne les attendait. Personne ne s’y attendait. Tel un volcan dont nul ne soupçonnait l’existence et qui, sans crier gare, s’était mis à vomir des laves menaçantes, les sociétés de la rive sud de la Méditerranée régurgitèrent une progéniture méconnaissable. La jeunesse serait-elle devenue folle ?
Les réseaux sociaux bruissaient. Les parents étaient désemparés. Les politiques déroutés. Les schémas perturbés. Les paradigmes inopérants. Les radars brouillés. Les prévisions démenties. Des vents de liberté inconnus balayaient des contrées longtemps maintenues sous d’épaisses chapes de plomb, attisaient le brasier allumé par des jeunes ordinairement muets. Des générations avides de changement bousculaient des sociétés ensevelies dans des glacis dictatoriaux.
Les effluves chauds exhalés enveloppaient les marches des jeunes d’un trouble angoissant. Les adultes s’inquiétaient du lendemain. Les fortunés s’émouvaient pour leurs acquis. Les puissants tremblaient pour leurs privilèges. Les politiques s’alarmaient pour leurs avantages. Les gens ordinaires priaient pour la quiétude du quotidien. Les petites gens se demandaient de quoi sera fait demain. Les démunis couraient toujours après leur maigre pitance. Les fidèles redoublaient de ferveur dans leurs prières. Les aspirants au changement se félicitaient de cette vague inespérée. Les pêcheurs en eau trouble se tenaient en embuscade. Les opportunistes s’apprêtaient à sauter sur l’aubaine. Les laissés-pour-compte n’y prêtaient pas attention. Les désabusés regardaient ailleurs. Les sceptiques ironisaient. Les idéalistes voyaient leurs rêves se réaliser.
Mais personne ne savait ce que les vents du printemps allaient apporter.
Les jeunes défilèrent dans les rues. Ils crièrent leur désespoir. Ils clamèrent leurs espérances. Ils appelèrent au changement. Ils dénoncèrent les maux du quotidien. Ils stigmatisèrent les responsables de leur quotidien. Ils pointèrent la corruption. Ils condamnèrent l’impunité. Ils rejetèrent la concussion. Ils blâmèrent les malversations. Ils demandèrent la transparence. Ils exigèrent l’équité. Ils réclamèrent la justice. Ils demandèrent l’égalité des chances. Ils requirent la responsabilité. Ils secouèrent les assoupis. Ils prônèrent l’éveil. Ils interpellèrent les politiques. Ils questionnèrent les gouvernants. Ils défendirent la démocratie. Ils mirent les privilèges en question. Ils ne voulaient plus du passé. Ils voulaient un ordre nouveau. Ils aspiraient à un autre lendemain. Ils étaient la nouvelle conscience de leurs sociétés.
Selon le pays, ici on résista, là on plia, ailleurs on réprima. On prêta l’oreille au tollé. On fit la sourde oreille. On tendit la main. On brandit les armes. On toiletta les textes. On jeta du lest. On garda l’essentiel. On utilisa la force. On sacrifia le peuple. On sacrifia des têtes. On classa des têtes. On replaça des têtes. On donna la voix au peuple. On préserva les indispensables. On fit appel à des nouveaux. On mobilisa la force. On offrit des postes. On calma les meneurs. On cassa les meneurs. On casa les leaders. On offrit de l’espace aux ténors. On ouvrit le feu. On déversa les mannes.
Le vent passa. L’orage se calma. La ferveur tomba. Les remous s’apaisèrent. Les rangs se clairsemèrent. Les slogans se turent. Les espoirs s’envolèrent. Les idéaux s’évanouirent. Les idéalistes disparurent. Les politiques survécurent. Les opportunistes récupérèrent. Les outsiders profitèrent. Les futés se posèrent en sauveurs. Les déchus gagnèrent en sainteté. Les caciques retrouvèrent une virginité. Les laudateurs vantèrent la stabilité. Le pouvoir perdura. Le pouvoir changea de main. Les inattendus arrivèrent.
Des années après, à la veille d’un nouveau printemps, est-on sûr d’avoir éteint l’incendie, calmé les ardeurs, répondu aux clameurs, redonné l’espoir, surmonté l’épreuve, tourné la page ? Le feu ne couve-t-il toujours pas sous la cendre ? Les aspirations ne sont-elles toujours pas aussi ardentes ? Les exigences ne sont-elles toujours pas aussi brûlantes ?
Les jeunes redescendront-ils à nouveau dans la rue ? Si d’aventure ils s’y reprenaient, à quoi faut-il s’attendre cette fois-ci ? Les éruptions qui agitent encore les rivages de la Méditerranée seraient-elles des épiphénomènes, ou les signes avant-coureurs d’une lame de fond aux effets bien plus dévastateurs ? Les vents du printemps seraient-ils réellement tombés ?
«The answer my friend is blowin’ in the wind», a répondu Bob.

Articles similaires

AutreChroniques

Santé mentale et pouvoir d’achat

Il nous faut faire de la santé mentale des Marocains une priorité...

Chroniques

Chère prise de parole en public

Pour prétendre à te prendre en public, toi chère prise de parole...

Chroniques

Une véritable transformation et évidence du paysage socio-économique

Le rôle incontournable de la femme ingénieure au Maroc

Chroniques

Et si on parlait culture… l’débat 2ème édition

Les Marocains sont épris de culture, il suffit pour s’en rendre compte...