Chroniques

A dire vrai…Maman… pourquoi est-ce qu’on écrit ?

© D.R

L’enfant a posé la question d’une voix traînante, juste au moment où sa mère a fini la lecture d’un des contes de Perrault, comme celle-ci a l’habitude de le faire chaque soir lorsqu’elle met sa fille de huit ans au lit. L’enfant peine à garder les yeux ouverts. Elle lutte pour rester éveillée, le temps d’avoir sa réponse. Sa maman la regarde longuement. Plus que par la question, elle est surprise par le moment choisi par sa fille pour la poser. Elle réfléchit longuement, ne sait que dire. Elle oscille entre la jubilation et l’embarras devant l’interpellation de sa fille. Mais que répondre donc à une question inattendue, quand de surcroît elle émane d’une enfant ? Au bout d’un moment, elle se tourne vers sa fille. Celle-ci a déjà sombré dans un sommeil profond. La maman remonte les draps et la borde avec d’infinies précautions. Elle dépose un baiser sur sa joue et, le cœur vibrant de tendresse, se lève et s’éloigne du lit. Arrivée au pas de porte, elle s’immobilise, ne pouvant détacher son regard de sa fille. Finalement, elle éteint la lumière, ferme la porte et s’enferme dans son bureau. Elle allume son ordinateur et laisse ses doigts parcourir les touches du clavier : «Écrire. Écrire pour soi. Écrire pour se retrouver en soi. Pour fixer le vécu. Peindre le rêve. Donner corps à une impression fugitive. Par des mots, par des phrases, faire vivre l’instant fugace, empêcher que le moment éphémère ne s’évanouisse dans l’oubli des hommes.
Écrire pour libérer des sentiments trop longtemps contenus. Coucher sur la feuille blanche d’indicibles sensations, pour les retenir à jamais. Donner libre cours à des émotions évanescentes, pour les partager. Avec des lettres, donner une âme à une pensée, une idée, une fragrance. Puis, telles des fleurs que l’on disperse en mer, les confier au gré des vents littéraires.
Écrire pour revisiter l’évidence, remodeler le réel. À travers l’agencement de phrases, en renvoyer l’image revue et corrigée à des yeux qui la découvriraient comme pour la première fois.
Fouiller dans le tréfonds de soi-même, s’aventurer dans les abysses du quotidien, et cueillir l’insignifiant enfoui dans le vécu de âmes ordinaires. Écrire dans la sérénité intime, ou dans la frénésie des êtres, pour tendre la main, pénétrer l’univers de l’autre et lui dédier un monde refait avec nos yeux, retouché par notre pensée, nourri de nos espérances. »
Elle quitte des yeux l’écran d’ordinateur. Le regard perdu dans le vague, elle entend sa respiration dans le calme de la nuit. Comme si elle reprenait son souffle. Elle revient à son clavier et poursuit :
«Puiser dans l’exubérance d’une vie, butiner dans le vécu humain et interpeller le constituant identitaire. Avec les mots des uns, les lettres des autres, mais avec le patrimoine de l’humanité, proposer une vision, soumettre une réflexion, inviter à une remise en question.
Écrire pour exorciser, écrire pour se libérer, écrire pour donner, écrire pour s’offrir, écrire pour dénoncer, écrire pour partager, écrire pour convaincre, écrire pour étancher sa soif de savoir, écrire et encore écrire… jusqu’à en perdre la raison… et se fondre dans la création scripturale universelle.
 Écrire à petites touches de plume, ou noircir la page à grands traits de pinceau, pour peindre l’histoire commune dans une profusion de couleurs, et enchâsser la fresque contre le grand mur de la vie où viendraient se refléter les âmes à la recherche de leur identité.
Et si, au bout des inévitables tribulations qui parsèment le cheminement des êtres sur cette terre, il ne restait qu’une dernière volonté, alors de grâce, de quoi écrire pour, peut-être, enfin assouvir l’inextinguible quête de vérité, l’insatiable appétit de communiquer.»
Elle a tapé le texte d’une traite, comme s’il lui fallait donner libre cours à un flot longtemps contenu au fond d’elle-même. Elle le relit, n’y change pas une lettre. Elle imprime le document, puis repart vers la chambre de son enfant. Elle dépose la feuille près de son chevet, l’embrasse de nouveau et se retire sans bruit.
Étendue dans son lit, grisée par une étrange émotion, elle s’adresse à sa fille en son for intérieur : «Merci mon enfant. J’ai tant appris ce soir grâce à ta question.»

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