Chroniques

A dire vrai… The Lady

© D.R

«Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime.
(…) Dans sa forme la plus insidieuse, la peur prend le masque du bon sens, voire de la sagesse, en condamnant comme insensés, imprudents, inefficaces ou inutiles les petits gestes quotidiens de courage qui aident à préserver respect de soi et dignité humaine. (…) Dans un système qui dénie l’existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l’ordre des choses. Mais aucune machinerie d’État, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de ressurgir encore et toujours, car la peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé». (*)
Le souffle, la lucidité, l’humanisme des propos laissent imaginer on ne sait quelle force de la nature derrière ce texte ! Ils émanent en fait d’une femme d’allure frêle, qui rayonne en permanence de paix et de quiétude. Peut-être est-ce pour cela qu’on l’appelle le « Papillon de fer ».
Nul ne pouvait imaginer la fortune que sa vie allait connaître. Née avec une cuillère d’or dans la bouche, issue d’une lignée de parents illustres, tout la prédestinait à jouer les tout premiers rôles dans sa société.
Elle quitte sa Birmanie natale où elle a vu le jour à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et part pour ses études secondaires en Grande-Bretagne. Elle y suit un cursus de philosophie, politique et économie au prestigieux St Hugh’s College d’Oxford. Elle termine ses études par un doctorat (Ph.D) à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres. À 22 ans, elle entame un second cycle d’études supérieures à New York. Elle devient secrétaire-assistante du Comité des questions administratives et budgétaires des Nations Unies. Elle rencontre son mari à Oxford alors qu’il étudiait les civilisations tibétaines. Elle lui donne deux garçons et… ils auraient pu vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants…
Ils auraient pu…
Au lieu de cela, elle choisit un tout autre cours de vie.
Elle retourne en Birmanie pour s’occuper de sa mère vieillissante. Le destin frappe ce jour-là à sa porte. L’armée jette une chape de plomb sur son pays. De violentes répressions frappent les manifestations pro-démocratiques.
Que faire ? Retourner à l’air libre de Londres, retrouver le confort de son foyer, et se lamenter de loin sur le malheur des siens ? Adepte de la philosophie non violente du Mahatma Gandhi, elle entre en politique. Et quelle politique ! Pas celle de la course après les privilèges. Pas celle des discours creux qui mènent vers le pouvoir. Pas celle avide des avantages réservés à une minorité.
Abandonnant mari, enfants et famille, elle s’engage sans concession pour la démocratisation de son pays. Au prix de sa liberté personnelle. Loin des siens et de ses proches. À la clé, des années de résidence surveillée, des contacts rompus, une vie d’isolation. Elle refuse les offres alléchantes, pour peu qu’elle abandonne un combat perdu d’avance, une lutte inégale avec des dictateurs déterminés.
Une belle leçon de vie. Donnée par une femme à laquelle la vie a tout donné. Qui n’avait besoin que d’y croquer. Et qui, au lieu de cela, a fourni un rare exemple du politique, mot auquel elle a donné un lustre à la mesure de son sacrifice, à la hauteur de son opiniâtreté. Et l’on se prend à aimer la politique. Et l’on retrouve du sens à l’engagement. Et l’on reprend confiance en l’humain. Et l’on se sent animé de l’envie de la suivre. Et l’on succombe au charisme du leader tant attendu. Et elle nous fait revivre ces époques de nos vies marquées par le sacrifice et l’abnégation des géants de l’Histoire.
Elle est… The Lady of Rangoon.

(*) Libérez-nous de la peur (Freedom from Fear), Discours d’Aung San Suu Kyi, femme politique birmane, figure de l’opposition non violente à la dictature militaire de son pays, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991.

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