Chroniques

Autrement : Adonis : Une voix qui dérange

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De l’avis de beaucoup, le poète d’origine syrienne Adonis (de son vrai nom: Ali Ahmed Sa’id ) serait le plus grand poète arabe vivant. Agé aujourd’hui de 78 ans, l’homme vit au Liban, pays multiculturel et pluri-religieux où il a trouvé la liberté d’écrire et à partir duquel son œuvre peut rayonner à travers le monde. Depuis 1962, il a d’ailleurs opté pour la nationalité libanaise.
S’il charme les oreilles et les intelligences de la plupart de ceux qui écoutent ou lisent sa poésie, Adonis a aussi le don de se créer de nombreux ennemis. Son œuvre, en effet, est une œuvre de combat à travers laquelle il dénonce les systèmes dictatoriaux et les obstacles mis à la liberté de penser et de s’exprimer dans le monde arabe. Une grande partie de ses écrits fustige les pouvoirs oppressifs nés des mouvements anti-coloniaux, qui utilisent à présent la religion pour se maintenir. Invité récemment pour une conférence à la Bibliothèque nationale d’Alger, le poète a suscité la colère du président de l’Association des ouléma algériens, Cheikh Chibane, qui l’a traité ouvertement de «pervers». Le directeur de la Bibliothèque Nationale, le courageux et talentueux écrivain, Amine Zaoui, avait dit au contraire, en accueillant le conférencier: «Il est comme les prophètes qui subissent toutes les épreuves et en sortent toujours grandis».
Que dit Adonis? Il souligne, tout d’abord, le tragique déficit de créativité des sociétés arabes contemporaines depuis plus d’un siècle. «Que peuvent apporter les pays arabes s’ils se mettent autour d’une table, pour résoudre les problèmes de l’humanité?» demande-t-il. Et de répondre brutalement : «Rien». Non pas que les Arabes seraient moins intelligents et moins brillants que les autres hommes!  Les Arabes qui pensent, qui inventent, qui créent, sont légion à travers le monde. Mais ils font généralement éclore leurs talents ailleurs que dans leurs sociétés d’origine. Parce que ces dernières sont bloquées. Parce qu’elles fonctionnent selon des principes archaïques. Parce que, tout spécialement, elles continuent de faire une lecture de leurs textes religieux qui ne correspond pas à la réalité du monde dans lequel nous sommes. «La crise de l’Islam n’est pas dans sa foi mais dans sa lecture», affirme-t-il. Et il observe : «Quelle que soit la grandeur d’un texte, il deviendra petit après passage par un esprit étroit».
Adonis enfin prône ce qui sonne comme une évidence mais qui n’est pourtant pas encore un acquis : la religion doit être une affaire de choix personnel libre de toute contrainte. Et ceux qui ne la choisissent pas devraient être libres de s’exprimer et d’assumer leur choix. De manière provocante, le poète rappelle que, selon le Coran, Dieu qui aurait pu éradiquer Satan l’a laissé libre de parler et de s’opposer à Lui! Et il note avec tristesse que, dans les sociétés arabes, beaucoup préfèrent l’esclavage à la liberté. Car la liberté oblige à se frotter aux questions du monde, tandis que l’esclavage permet de s’abandonner aux instructions des dictateurs. Autant dire, pour reprendre la formule d’Amine Zaoui: «Adonis creuse dans les tempêtes».

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