Autrement : Al-Khidr et ses métamorphoses

Sans que son nom ne soit cité, il apparaît dans la Sourate 18, intitulée «La Caverne», aux versets 60 à 82. Alors que Moïse et son valet ( Josué? ) viennent de perdre un poisson qui était destiné à leur repas, ils trouvent sur leur chemin «un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce», dit le texte coranique. Dans ce personnage mystérieux, Moïse reconnaît plus grand que lui et il demande à être enseigné. L’homme entraîne alors Moïse à sa suite, le mettant en face de trois évènements déconcertants qu’il provoque: une brèche faite volontairement dans la coque d’un bateau, le meurtre d’un enfant, le redressement d’un mur dans un village inhospitalier.
A Moïse qui a du mal à donner du sens à ce dont il est témoin, l’étrange personnage déclare: «Je vais t’apprendre l’interprétation de ce que tu n’as pu supporter avec patience», et il lui explique «le pourquoi» de ce qui vient de se produire. Khidr a une importance historique moindre que Moïse, dès lors qu’il n’a pas été chargé de révéler une loi divine. Mais, au niveau spirituel, on peut considérer qu’il occupe un rang éminent, puisqu’il se montre capable de dévoiler le sens vrai et caché des choses.
Alors que l’horizon de Moïse est limité à celui de la loi accueillie dans son sens littéral, Khidr prouve qu’il détient la connaissance profonde du sens des évènements terrestres. A cause de cela, la figure de Khidr occupe une place centrale dans la mystique musulmane, où il assume le rôle de guide et d’initiateur qui relie les hommes au divin.
Selon les commentateurs, la réalité du personnage est appréhendée de façons diverses. Selon les uns, il serait un descendant de la cinquième génération de Noé. Selon d’autres, il aurait vécu à la même époque que Moïse, comme permet de le supposer le texte coranique. Pour d’autres, il est également compagnon du prophète Ilyâs (Elie  )… quand il n’est pas identifié à celui-ci. Mais pour d’autres encore, il s’agit d’un personnage qui ne se serait jamais incarné dans l’histoire, qui résiderait dans un monde imaginal, et qui constituerait un archétype spirituel (et donc immortel) au regard des réalités de ce monde. Avec Idris ( Enoch ), Ilyâs ( Elie ) et Issâ ( Jésus ), il est souvent compté parmi les «prophètes immortels», c’est-à-dire les messagers qui ont échappé à la mort. Mais en Orient, de la Palestine à la Turquie en passant par l’Egypte, l’Irak ou Chypre, al-Khidr est aussi fréquemment associé… à un saint chrétien très populaire: Saint-Georges.
La mémoire de celui-ci, martyr du IV ème siècle de l’ère commune, est restée célèbre et populaire, car on rapporte qu’il aurait, à Beyrouth, terrassé un terrible dragon qui terrorisait la population. Le rapprochement des deux figures (dans les pays cités précédemment, beaucoup de musulmans vénèrent Saint-Georges ) vient ainsi nous rappeler qu’il existe chez les hommes des aspirations profondes et que celles-ci les réunissent.