Chroniques

Autrement : Bruno Etienne, le savant «provoquant»

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Même s’il a publié plusieurs ouvrages de qualité, le grand public, maghrébin ou français, ne connaît guère le nom de Bruno Etienne. Il a pourtant joué un rôle essentiel, ces vingt dernières années en France, pour une meilleure connaissance du monde de l’Islam et, plus globalement, pour une plus juste approche du «monde» des religions.
Bruno Etienne vient de mourir à l’âge de 71 ans, dans la ville d’Aix-en-Provence où il a développé pendant plusieurs années ses recherches et son enseignement. Diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et agrégé de sciences politiques, il a été chercheur au Caire, enseignant aux universités d’Alger, de Casablanca et de Bir Zeit, avant de fonder, à Aix-en-Provence, l’Observatoire du religieux, qu’il a dirigé jusqu’en 2006.
Le seul énoncé de ces fonctions multiples témoigne d’une vie particulièrement riche. Mais cela ne suffit  pas à donner la mesure du personnage bouillonnant qui vient de s’éteindre des suites d’un cancer. Car ce politologue et sociologue était passionnellement investi dans ce qu’il faisait et disait. «J’ai toujours été à la fois un chercheur et un cherchant», aimait-il à souligner. Dès l’adolescence, lui qui appartenait à une famille en partie protestante et en partie franc-maçonne avait était touché par «le virus» des religions, se plongeant avec bonheur dans les livres sacrés, Bible, Coran et Talmud. Toute sa vie, il sera fasciné par les mécanismes de la croyance, se montrant capable d’entrer en profonde sympathie avec les mouvements religieux qu’il étudiait. Ses interlocuteurs laïcs (à la française), qu’il lui est arrivé d’interpeller rudement alors qu’il était des leurs, en furent surpris plus d’une fois. Il faut dire que dans les tables-rondes où il intervenait, il faisait le spectacle !
Ses nombreux livres de sociologie religieuse témoignent de ses engagements multiples. On l’a dit converti à l’Islam, devenu bouddhiste, marqué par un agnosticisme total… Mais Bruno Etienne était un peu tout cela à la fois, ce qui paraît impossible aux gardiens des doctrines religieuses et aux milieux universitaires classiques ! Une des grandes convictions du politologue aixois, en effet, aura été que, dans le monde de mélanges qui est devenu le nôtre, les divers systèmes de croyance s’influencent, s’interpénètrent, et que certains peuvent être «à la fois» (ou alternativement?) bouddhiste et chrétien, musulman et franc-maçon…
Lui-même a été un franc-maçon à sa façon, c’est-à-dire en ruant dans les brancards et en mettant en relief ce qui lui apparaissait complètement suranné dans la franc-maçonnerie contemporaine. Au cours de ses recherches, il se passionna tout particulièrement pour l’émir Abdelkader, le fondateur de la nation algérienne moderne, dont on sait qu’il fut avant tout un grand mystique soufi, disciple de l’Andalou Ibn Arabi. Or Abdelkader fut en relation avec la franc-maçonnerie française, ce qui trouble beaucoup de musulmans. En fut-il réellement membre? Même si Bruno Etienne assurait que «oui», le débat reste ouvert. C’est cette «ouverture», et non pas des certitudes sur l’Islam, qu’il nous laisse en héritage.

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