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Autrement : Jibrîl où/ quand Dieu s’auto-interprète

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La croyance à l’existence des anges a une longue histoire. Il y a 5 000 ans, à Ur, une ville de Chaldée, l’actuel sud de l’Irak, dans l’antique civilisation sumérienne, on retrouve déjà des représentations de personnages aux allures d’hommes, portant des ailes. Les grandes religions de la Perse, tout comme le judaïsme et le christianisme, ont toutes évoqué ces êtres de lumière qui peuplent les cieux et chantent les louanges du Dieu souverain. Les anges sont porteurs de messages qui sont délivrés à des hommes et des femmes choisis par Dieu. Pour l’Islam, cet ange messager qui révèle le Coran au Prophète Sidna Mohammed, c’est Jibrîl, c’est-à-dire l’ange Gabriel.
La racine «Gbr» qui est à l’origine du nom de Jibrîl, provient de la langue sumérienne et signifie notamment «puissant». Un esprit appelé Jabr était déjà identifié chez les habitants de Sumer  comme étant un esprit bienveillant. Le mot «el» dans le monde sémitique veut dire Dieu. Le nom de Jibrîl peut être traduit par «Dieu est fort». De même, Ismaël peut être traduit par «Dieu écoute»: Isma’ (écoute) + el (Dieu).  Le nom de Jibril est cité à trois reprises dans le Coran. Mais la tradition musulmane décèle sa présence en bien d’autres passages. Jibrîl apparaîtrait ainsi dans les expressions coraniques signifiant « l’esprit de Dieu » ou encore «l’esprit sûr» («ruh al-amîn»). Ce serait donc lui, Jibrîl, qui a annoncé la naissance de Jésus à Marie. Toujours selon la tradition musulmane, Jibrîl n’aurait pas « dicté » uniquement le Coran au Prophète. Il serait aussi apparu en diverses occasions pour lui transmettre des enseignements sur la religion musulmane. Jibrîl est une source de réflexion importante pour la théologie et la mystique. Sa présence soulève des questions philosophiques sur le processus de la Révélation. Comment celle-ci est-elle donnée aux Prophètes ? Quel est le «canal» de la Révélation ? Comment s’articulent Révélation et usage de la raison ? Les mystiques se sont intéressés, eux aussi, à cette dernière question. L’Andalou Ibn ‘Arabi, a par exemple, intégré la figure de Jibrîl dans les différentes étapes de la route qui peut conduire l’Homme jusqu’à l’illumination en Dieu.
Enfin, au-delà des interprétations traditionnelles, on peut se demander comment cet infini, que nous nommons «parole de Dieu», peut être contenu dans un langage humain, forcément limité, fini. Comment faire parler de l’illimité à du limité ? De l’infini à du fini? La victoire sur cet «impossible à dire»  s’effectue selon les religions monothéistes par le processus de la Révélation. Tous les passages des textes monothéistes «mettent en scène» la figure d’un ange quand ils veulent dire le prodige de cette communication entre Dieu et l’Homme. Pour se rendre accessible à l’Homme, Dieu s’interprète lui-même en langage humain, puisque parler, c’est interpréter. Et cet acte de communication est figuré, symbolisé par Jibrîl. Mais ce mouvement d’interprétation de Dieu vers l’Homme engendre un autre mouvement. Pour comprendre le message coranique, l’Homme doit s’engager, à son tour, dans un processus d’interprétation de cette interprétation première.

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