Chroniques

Autrement : L’éclatement contemporain de l’autorité religieuse

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Tout récemment, dans son discours de Tétouan devant le Conseil supérieur des ouléma, le Roi Mohammed VI a de nouveau affirmé son autorité de «Amir Al Mouminine», en lançant un vaste programme de formation et d’encadrement des imams. On sait que ce titre religieux (qui fut longtemps l’apanage des premiers califes) appartient à l’héritage des Souverains de la dynastie alaouite (au pouvoir au Maroc depuis le XVII ème siècle), du fait de l’ascendance prestigieuse de ceux-ci : leur généalogie remonte jusqu’à Ali Ibn Abi Talib, gendre et cousin du Prophète.
Cette spécificité marocaine s’avère particulièrement intéressante en ces temps où se multiplient, en se faisant concurrence, les lieux de l’autorité religieuse en Islam. Où réside aujourd’hui, à l’échelle du monde, une autorité religieuse musulmane qui pourrait être regardée comme «indiscutable» ? De nouvelles universités religieuses, à Médine en particulier, se sont imposées devant les anciennes et vénérables universités de jadis, à commencer par l’Université d’Al-Azar. Depuis 1924, il n’y a plus de calife qui préside, ne serait-ce que symboliquement, à la «communion» de tous les croyants musulmans, et une  institution telle que l’Organisation des Etats islamiques n’est pas parvenue à remplacer cette figure symbolique. Dans tous les Etats musulmans, des conseils d’ouléma existent, mais ils sont, la plupart du temps, très dépendants des autorités politiques, et leurs avis dépassent rarement les frontières des Etats auxquels ils appartiennent.
Mais cette absence d’autorité religieuse centrale en Islam n’est pas récente, car à vrai dire, il n’y a jamais vraiment eu d’autorité. Les trois premiers califes qui ont succédé au Prophète ont, certes, dirigé l’ensemble de la communauté des musulmans d’alors, à la fois dans l’ordre politique et dans l’ordre religieux. Mais très  vite, avec l’expansion de l’empire arabe, les conflits ont surgi, provoquant d’abord la rupture entre partisans et opposants d’Ali, puis l’apparition de dynasties ennemies et la fragmentation de l’autorité califale.  Quand ils prirent possession de la majorité du monde musulman, les califes ottomans eurent très vite le souci de contrôler l’autorité religieuse. Ils créèrent une sorte de «fonctionnarisation» des cadres religieux qui sert encore de modèle dans plusieurs Etats. Mais ils ne parviendront jamais à contrôler tous les hommes de religion.
Aujourd’hui, avec le développement de «la toile» que constitue Internet, cette absence d’autorité se fait plus cruellement sentir puisque chaque citoyen de la planète se trouve maintenant en mesure de trouver, sur mille sites différents, des avis juridiques multiples et contradictoires, ainsi que des enseignements péremptoires, prononcés par des «émirs» souvent autoproclamés ou issus de groupes qui prétendent imposer leur joug sur les masses musulmanes. Ce phénomène préoccupant vient donc renouveler la question de l’autorité religieuse en Islam qui semble bien ne pouvoir qu’être toujours fragmentée. Les gens de grand savoir y ont heureusement leur place. Mais à ceux-ci s’ajoutent, l’histoire en témoigne, des autorités politiques que l’on peut parfois considérer comme «inspirées».

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