Chroniques

Autrement : Pour une poétique de l’existence

© D.R

Verlaine disait de son ami Rimbaud qu’il était «l’homme aux semelles de vent», et Baudelaire de Hugo qu’il «conversait avec les flots et les vents». Autant de métaphores qui disent combien le poète n’est pour ainsi dire pas de ce monde, ou plutôt pas seulement de ce monde. Sa matière première, ce sont bien les réalités du monde, qu’il perçoit à travers des sens qu’il maintient constamment en éveil. Mais ces réalités, il arrive à les transposer dans un autre registre que celui de la rationalité nue et froide. En jouant avec les mots, en se jouant d’eux, le poète est celui qui ouvre les portes d’une autre perception et d’une autre sensibilité aux êtres et aux choses. Il n’invente pas un autre monde : il donne juste à voir ce monde autrement, sous un nouveau jour et avec d’autres couleurs.
Alchimiste, démiurge, et visionnaire : le poète n’est donc rien moins que cela. Alchimiste parce qu’en pétrissant de son imagination et de son talent le réel, le poète transforme ce qui est trivial en noble, en beau, en magnifique. Baudelaire n’écrit-il pas «j’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or» ? Démiurge ensuite parce que grâce à l’écriture poétique, les mots s’emplissent d’une nouvelle tonalité. Ils ne sont plus seulement des signes, ils deviennent eux-mêmes des réalités qui composent le nouvel espace de perception. Le poète a un pouvoir créateur, simplement parce qu’il a le pouvoir d’animer ce qui est inerte. Visionnaire enfin, parce que le poète transcende le réel pour voir ce que les autres ne peuvent voir. Il ne décrit pas ce qui est, mais donne à voir le possible de ce qui est. Il est comme une âme collective qui interroge, qui doute, qui espère et qui quelquefois…trouve.
De là à rapprocher le verbe poétique du Verbe prophétique, il n’y a donc qu’un pas. Ne subliment-ils pas tous les deux notre monde ? Ne nous promettent-ils pas tous les deux une réalité autre, qui ne nous serait pas complètement étrangère mais qui nous serait infiniment plus agréable ? Parlant du poète, Hugo écrit : «c’est lui qui, malgré les épines, l’envie et la dérision, marche, courbé dans vos ruines, ramassant la Tradition. De la Tradition féconde sort tout ce qui couvre le monde, tout ce que le Ciel peut bénir. Toute idée, humaine ou divine, qui prend le passé pour racine a pour feuillage l’avenir». La parole prophétique elle aussi, crée et promet. Elle crée à partir du réel limité et donne un futur au passé. Elle promet une espérance inédite. Une promesse qui n’est pas de l’ordre de l’avoir, mais une promesse «d’existence», c’est-à-dire une vie qui ne repose pas sur elle-même, dans une sorte d’auto-fondation, mais une vie qui repose sur la parole d’un Autre qui reconnaît ma vie. Parole poétique et parole prophétique se font écho, l’une ne peut aller sans l’autre. Alors si le poète se fait l’herméneute de ce qui sans lui serait resté hermétique, parce qu’il  traduit et devine, alors… le croyant doit aussi être l’interprète d’une parole prophétique porteuse de sens toujours nouveaux et toujours renouvelés. Sinon la poésie de la prophétie ne sera plus créatrice.

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