L’évènement a été peu relayé par les médias des pays musulmans. Pourtant, il n’est pas sans importance. Pour la première fois dans l’histoire s’est tenu, à Rome, ce qui s’est appelé le premier «Forum islamo-chrétien». A la suite du très controversé «discours de Ratisbonne» prononcé il y a deux ans par le pape Benoît XVI sur le thème «Foi et raison», dans lequel l’Islam était présenté de manière caricaturale, plusieurs hauts responsables musulmans de différentes régions du monde (dans «La lettre des 138») avaient demandé l’ouverture de véritables discussions avec le magistère de l’Eglise catholique. Celles-ci ont finalement eu lieu, durant trois jours, début novembre. Trois journées où les différents interlocuteurs ne sont pas restés dans le registre des politesses, mais durant lesquelles ont été abordées des questions de fond, telles que le rapport des deux religions à la violence, la liberté de conscience et de culte, ou encore le prosélytisme. Les participants ont proposé de se retrouver dans deux ans.
Depuis une quarantaine d’années, les initiatives pour un vrai dialogue entre chrétiens et musulmans n’ont pas manqué. Néanmoins, le Forum de Rome aura été le premier qui a rassemblé autant de responsables ou intellectuels musulmans de haut niveau avec des dignitaires et des théologiens catholiques parmi les plus reconnus. Dans toutes ces rencontres, cependant, se pose la question du cadre et du contenu des discussions. Pour la plupart des responsables catholiques comme pour la majorité des responsables musulmans, le dialogue proprement «théologique», c’est-à-dire portant sur des questions de foi, est impensable. Les chrétiens et les musulmans, en effet, ont des compréhensions inconciliables de la personne et de la mission de Jésus. Chacune des religions se présente comme étant porteuse de la totalité de la Révélation divine, et cette revendication de chacun d’être dépositaire de la vérité plénière, est évidemment insupportable par «l’autre». Inévitablement, on se retrouve dans «le choc» des Ecritures saintes, «Coran contre Bible». Les chrétiens n’acceptent pas qu’on les soupçonne de «falsification des Ecritures», tandis que les musulmans sont scandalisés que les disciples du Nazaréen s’enferment dans le refus de prendre en compte la mission de Mohammed et le Coran qu’il a transmis.
Un manière nouvelle d’avancer serait sans doute d’accepter de reconnaître les «familiarités» qui existent entre le texte coranique et le texte biblique, et de se mettre à faire ensemble des lectures communes de nos textes, en ne craignant pas d’utiliser les outils modernes de la critique historique et textuelle. Les chrétiens font depuis longtemps «converser» les textes de ce qu’ils nomment «le Nouveau Testament» (les Evangiles) avec les textes de ce qu’ils désignent comme «l’Ancien Testament» (la Bible juive). Or il serait grand temps aujourd’hui, de faire dialoguer texte coranique et texte biblique. La sortie de ce que Mohammed Arkoun appelle «la clôture dogmatique» et les «systèmes d’exclusion réciproque» est à ce prix.