Chroniques

Autrement : Un salon anti-littéraire

© D.R

Avant même son ouverture, le Salon du livre de Paris a fait l’objet de polémiques passionnées, différents groupes ayant appelé à son boycott en raison de l’invité d’honneur retenu pour cette année : Israël. Plusieurs pays arabes ont d’ailleurs décidé de refuser l’envoi d’auteurs, d’éditeurs et de visiteurs à ce Salon, du fait de la place accordée à l’Etat hébreu. Que des Etats qui sont officiellement en guerre avec Israël adoptent cette position n’est pas surprenant. En revanche, on peut s’étonner de l’invitation au boycott lancée par divers intellectuels ou militants de différentes nationalités. Car, dans pareil cas, qui fait les frais du boycott ? L’Etat d’Israël et sa politique de répression à Gaza et dans les territoires occupés? C’est ce que veulent croire les partisans du boycott. Mais rien n’est moins sûr…
En Israël, en effet, nombreux sont les écrivains juifs de premier plan qui comptent parmi les voix les plus courageuses pour dénoncer les situations d’injustice et demander que soient respectés les droits élémentaires des populations palestiniennes. C’est le cas d’auteurs reconnus de longue date comme Amos Oz ou Abraham Yehoshua. Des écrivains qui, certes, ont toujours défendu le droit d’Israël à exister, mais qui n’ont pas cessé, pour autant, de reconnaître aux Palestiniens un droit égal à s’affirmer comme peuple et à avoir un Etat.  Parmi les nouvelles générations d’écrivains, nombreux sont également ceux qui s’interrogent sur l’histoire officielle qui leur a été transmise, et qui s’efforcent d’entendre «la vérité de l’autre». Ainsi en va-t-il de Eshkol Nevo, né en 1971, le petit-fils d’un ancien Premier ministre israélien. Dans son roman «Quatre maisons et un exil», il met en scène un personnage palestinien dont la famille a perdu sa maison. La création israélienne comporte, par ailleurs, plusieurs écrivains arabes qui font entendre avec talent leur singularité et la souffrance des leurs (Sayed Kashua et Naim Araidi font partie des auteurs invités à Paris). Faut-il rejeter tous ces auteurs qui contribuent à des questionnements nécessaires dans la société israélienne? Faut-il les priver de la plate-forme formidable que constitue  un Salon du livre comme celui de Paris? Certainement pas! Nombre de causes ont progressé dans l’histoire grâce à la plume d’écrivains capables d’avoir révélé et réveillé les mauvaises consciences de leurs peuples. C’est à cela, au fond, que sert la littérature : à critiquer, à réveiller par en dessous, du côté de l’inconscient collectif, du côté des sentiments, du côté de la vie intérieure. Ceux qui entendent boycotter un tel salon desservent la cause qu’ils prétendent défendre en bâillonnant ceux qui, de l’intérieur de l’inconscient collectif israélien, peuvent faire avancer les choses. Ce n’est jamais par la fermeture des consciences, la clôture du sens et l’interdiction du dialogue, que l’on peut résoudre les problèmes.  Improductive, cette campagne de boycott est  aussi anti-littéraire par excellence.

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