Chroniques

La chronique du mercredi : Excuses

© D.R

La communication peut piéger la pensée politique la mieux intentionnée. Illustration. C’était le 26 juillet 2007, à l’université de Dakar. Le président français, récemment élu, tenait discours à l’attention de la jeunesse africaine. Un texte de 5.386 mots. Nicolas Sarkozy y affirmait sa conscience des tragédies et des besoins du continent, la main tendue de la France pour une politique des réalités et non plus la politique des mythes, des pôles de compétitivité communs, l’autosuffisance alimentaire, les droits de l’Homme, l’Eurafrique, «ce grand destin commun qui attend l’Europe et l’Afrique». De tout cela, il ne resta que ces 14 mots : «Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire». Au sujet desquels, le 6 avril dernier, à Dakar, Ségolène Royal a déclaré sous les ovations : «Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n’auraient jamais dû être prononcées(…). Car vous aussi, vous avez fait l’histoire, vous l’avez faite bien avant la colonisation, vous l’avez faite pendant, et vous la faites depuis». Ce qui lui valut, le lendemain, ce coup de sifflet du Premier ministre, M. Fillon : «J’invite Mme Royal à un peu plus de retenue et un peu plus de dignité lorsqu’elle évoque la France et ses autorités dans le monde». Et la machine médiatique de s’emballer, droite contre gauche, aux cris de «démagogie», «populisme».
Où est la raison dans tout ça ? Qui est cet «homme africain», par l’impuissance historique duquel s’expliquerait la situation de l’Afrique? M. Sarkozy a décrit un paysan «(…) qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles». Cette créature ressemble en vérité à tous les paysans du monde. Son imaginaire «où tout recommence toujours, (où) il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès» est celui de toutes les sociétés agraires du monde. S’il est des êtres qui ne sont «pas assez entrés dans l’histoire», d’autres y seraient-ils entrés à l’excès ? Qui, dans cette matière, peut fixer le bon seuil de pénétration?
A lire l’intégralité de son discours, on comprend que M.Sarkozy a voulu exhorter les élites d’Afrique à compter d’abord sur elles-mêmes pour arrimer le continent à la mondialisation. A se bouger vers la démocratie. Il a raison. Alors où est le problème ? Il est rhétorique. La notion d’homme africain est une construction de l’imagination, et son degré d’historicité est une spéculation. Cette façon de raisonner devient dangereuse quand elle prétend expliquer des particularismes culturels par des essences biologiques forcément imaginaires. C’est la façon de voir des purificateurs qui ne se définissent qu’à partir de ce que, selon eux, les autres ne sont pas. Rien dans ses actes et son engagement politiques ne permettant de dire que M. Sarkozy fait partie de ces gens, cette phrase aurait dû rester là où elle était tombée, dans l’oubli. Voilà le discours de Dakar entré dans l’histoire. Grâce à Mme Royal . Qui, voulant consoler le fameux homme africain, ne s’est sans doute pas rendu compte qu’elle se plaçait, elle aussi, sur le registre de l’essentialisme culturel. Ironie de l’histoire : la langue de Descartes se laisse piéger quand elle traite du continent de la palabre.

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