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La chronique du mercredi : Permis de conduire et permis de gouverner

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C’est parce que l’homme au volant peut devenir un animal dangereux que le rôle de l’Etat est de le protéger, contre lui-même, pour protéger la société en général. La multiplication des radars, la sévérité des pénalités, les retraits de permis réduisent les comportements déviants. Tous les gouvernements qui ont voulu s’attaquer aux tragédies de la route ont dû passer par là. Au prix de l’impopularité. C’est le mérite du ministre de l’Equipement de s’y être engagé. Que, pour la seconde fois en deux ans, il n’y soit pas arrivé est une affaire qui en dit long sur l’état de la société, et sur les rapports de cette dernière avec l’Etat.
On a tout entendu : le mauvais état des infrastructures, la corruptibilité des agents d’autorité, la démesure des contraventions et des peines énoncées par le projet de loi. Les opposants au projet de réforme ont pointé du doigt le manque de fiabilité de l’administration en charge de l’application du Code de la route, et ses abus de pouvoir. C’est une manière de plaider l’anarchie de la société par l’arbitraire de l’Etat. L’insécurité routière a évidemment une partie liée avec l’insécurité civique. Laquelle, c’est vrai et c’est grave, ruine tout sentiment de confiance et menace le lien social : entre les justiciables et la justice, entre les malades et les hôpitaux, entre les entreprises et les services de l’Etat, entre salariés et employeurs, entre clients et fournisseurs. Une société où même le paiement par chèque est difficilement accepté ne va pas bien. Certes, mais est-ce une raison pour ne rien faire ?
Le blocage des stations-service et la menace de paralysie de l’activité qui sont venus à bout du projet ne relèvent pas du mode d’action des partis politiques, des syndicats de salariés ni des organisations patronales au sens classique. L’Etat a été mis en échec par un aréopage de rentiers qu’il a lui-même fabriqués à coup de licences de transports délivrées depuis des décennies dans l’opacité. Le sujet dépasse le pauvre Karim Ghellab. L’échec de la réforme n’est pas le sien. C’est celui d’une société où le raisonnement, le débat et le sens du compromis restent improbables même lorsqu’il s’agit de préserver la vie. C’est l’échec d’une vision fragmentaire de l’action politique qui s’imagine que des dossiers techniquement bien ficelés suffisent à résoudre des problèmes sociétaux enchevêtrés. C’est la sanction du manque de procédures et de temps d’écoute, de consultation et d’explications. Un échec dramatique si, chacun préférant le statu quo, l’enterrement de la réforme devait être le prix du renoncement.
À l’inverse, cet épisode peut être une chance. Pour réformer le secteur des transports et le sortir aussi bien de la corruption que du faux rôle de filet social de sécurité où l’a plongé la distribution clientéliste des licences de tout genre. Pour revoir les conditions de travail et de vie et la formation des policiers et des gendarmes, et repenser leur intervention pour qu’ils protègent les gens au lieu de les piéger. Et si la question de la route était une occasion de soulever sereinement celle de la conduite des affaires publiques ? Plusieurs ministres, alors que le sujet les concernait, ont manifestement cru bon de laisser leur collègue Karim Ghellab se débrouiller seul. Qui sait s’ils n’ont pas ri de sa déconvenue. Ces petits malins mériteraient un retrait de leur permis de gouverner.

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