Chroniques

Lettre de Marrakech : Cheb Mami, un grand du raï, ami de chez nous

© D.R

Il est des hommes dont le destin les mène souvent à une carrière à laquelle peut-être ils ne s’attendaient pas. Cheb Mami, un nom sur le bout des lèvres des jeunes et des moins jeunes, est aujourd’hui le pionnier d’un nouveau style de raï, devenu par la force, le travail et la recherche musicale, internationale, s’ouvrant sur les percussions occidentales sans jamais oublier son origine traditionnelle. Ce grand « raïman », à la voix de miel, de sucre et d’or, nous enchante musicalement avec grâce et douceur jouissives. En très peu de temps, Cheb Mami a su s’imposer dans le monde occidental et le nôtre en faisant passer son style novateur adapté à la société essentiellement jeune et ouverte au rythme apparenté du reggae-funk, rap… En fait, qui est ce phénomène du raï, dont la voix et le nom n’ont plus de secret pour personne ? Mohamed Khelifati, dit Cheb Mami (le môme) est né dans un quartier de Saïda, au Sud d’Oran en Algérie le 11 juillet 1966. Il appartient donc à cette génération post-indépendance, porteuse de nationalisme, de rage d’arriver et d’espoir de voir la société libre et moderne. Très jeune, il accompagne sa mère dans les fêtes de mariages et de baptêmes pour écouter les orchestres féminins traditionnels appelés « Medahates » interprétant les chants d’amour et la condition de la femme. C’est à ce moment que le jeune Cheb Mami va s’imprégner de cette musique fort bédouine et citadine aussi. Au lieu d’aller jouer à 8 ans dans la rue au football avec ses copains, il préfère chanter et goûter la musique. C’est ainsi qu’à 12 ans, il établira un stratagème avec ses amis pour que selon le principe de la dédicace payante, le « môme » puisse mêler sa voix suraiguë à celles des « Medahates » ou encore lors de fêtes tout court. Un problème se posait pour le jeune Mami, c’est celui de la survie de sa famille pauvre. En effet, étant au milieu de neuf frères et soeurs, Cheb Mami, d’un sérieux et d’un naturel, doit participer à la subsistance de sa modeste famille. Il va travailler comme soudeur à l’usine de la société nationale du métal. Mais le week-end, il quitte son bleu de travail à Saïda pour aller rejoindre les endroits de lumière tamisée à Oran et exprimer son art musical si bien que le groupe «Al Azhar», l’engage comme membre à part entière. Une vie dans les cabarets de la corniche d’Oran commence, ce sont les soirées arrosées de «Macumba», «Mon Château» ou en « Le Biarritz » qu’animent Mami et ses copains. De plus en plus connu, Cheb Mami se présente en 1982 à un radio-crochet de la radio algérienne : « Alhan wa Chabab ». Il va interpréter une vieille chanson des années 20 : «El Mersam ». Il éblouit les auditeurs avec sa voix sinueuse qui le plébiscite malgré la réticence d’un jury traditionnel préférant l’interprète d’Oum Kaltoum pour n’accorder que le 2ème prix au jeune Cheb Mami. Mais, le producteur Boualem, de disco-Maghreb le remarque et lui fait enregistrer plusieurs cassettes vendues à plus de 500.000 chacune que l’on écoute en cachette chez soi car le raï en ce moment était considéré comme vulgaire. Ne tirant que peu de profits de ces enregistrements, il gagna tout de même une popularité et une promotion. Mais Mami doit encore se faire accepter par ses pairs malgré qu’il soit le plus jeune chanteur du raï. Un Khaled ou Hamid ou Houari lui reprochent d’être « raï famille », eux qui chantent l’amour physique. Néanmoins, sa première représentation se fera au 1er Festival du raï d’Oran en 1985, sorte de reconnaissance de ce type de musique par le pouvoir algérien. A ce moment, Cheb Mami décide d’aller faire un petit tour en France pour s’équiper et revenir constituer son groupe en Algérie. En arrivant à Paris, ses cassettes avaient déjà fait le tour de Barbés si bien qu’il est vite admis dans les cabarets parisiens tels que : «Monseigneur», «Khaïma» et «Omar Khayam». Cheb Mami enchante son public en essayant de rajeunir le raï des années 40/50 de Blaoui El Houari, d’Ahmed Wahbi ou encore celui de Messaoud Bellemou. A ce moment, Cheb Mami pense occidentaliser le raï traditionnel pour le rendre plus accessible aux Européens. Connu, il ne pouvait pas ne pas participer aux festivals de raï de Bobigny et celui de la Villette aux côtés des grands de cette musique : Khaled, Khlifi, Bellemou, Cheikha Rimitti, Sahraoui, Fadela… C’est grâce à ces concerts que le raï fait son entrée en Europe et dans le monde. Michel Levy rencontre, à ce moment, Cheb Mami et devient son manager qui lui fait signer son premier contrat avec la maison Blue Silver ». Resté à Paris, il va sortir les fameux tubes. « Diouni Lbladi» et «Ouach Tsalini» qui lui ouvrent, en 1986, les portes de l’Olympia, une première du genre dans le domaine du raï. Il interrompt cette lancée euphorique pour aller faire deux ans de service militaire combien musical dans les casernes du pays. Dès 1989, il revient en France, directement à l’Olympia où il est qualifié par les médias comme « Prince du raï », pour ensuite passer au « New Moming », club select de jazz parisien. La même année, il connaît un succès énorme à travers le globe : USA, Québec, Italie, Pays-Bas, Allemagne, Angleterre. En 1990, il retourne aux USA enregistrer son album : « Let me raï » sous la houlette du producteur de Johnny Clegg, Hilton Rosenthal. Cette réalisation connaît une interdiction avec la guerre du Golfe ce qui met une petite pause dans la carrière de Mami. C’est réellement vers 1994 que va commencer la grande carrière de Cheb Mami avec son 3ème album « Saïda », en hommage à sa ville natale. Aussitôt, il signe avec la Major Virgin qui le distribue dans tous les continents. Son album qui est plébiscité partout : double disque d’or en Algérie et disque d’or chez nous au Maroc. A propos de chez nous, Cheb Mami épouse une marocaine « beur » tout comme Cheb Khaled. A cette période, le raï de Mami s’occidentalise sans toutefois sacrifier l’essence du raï, avec présence de violons. Le plus grand concert de « Mami » va avoir lieu au Zenith parisien (pendant le ramadan où les soirées sont toujours en fête) où se produit une parfaite communion avec le public grâce au charme, aux rythmes et à la gentillesse du Cheb. A cette période, Cheb Mami entre dans l’univers Ragga des blacks en enregistrant un duo franco-arabe : « Les fugitifs ». L’année d’après, 1997, Mami va se lancer dans une conquête internationale de l’Asie (Japon) de l’Amérique du Sud (Brésil) et les pays du Nord de l’Europe et tourne dans un film de Mohamed Zemmouri : « 100% arabica » où il partage l’affiche avec notre ami Cheb Khaled. Le 14 juillet, Fête nationale française, il sera invité pour fêter cet événement à New York et Los Angeles par le gouverneur français, c’était le concert « Vive on World » donné par un chanteur dont le combat est artistique néanmoins il n’hésite pas lors de ses concerts de rendre hommage à son confrère et ami Cheb Hasni, assassiné en 1994. Aussi l’envie de Cheb Mami de revenir un jour chanter dans son pays, le ronge et l’envahit (« on n’oublie jamais ses origines »… heureusement). Ce jour va se produire un 4 juillet 1999, Cheb Mami va réaliser son rêve et celui de plusieurs milliers de ses concitoyens. Ce jour-là, il donne sur un méga concert à Alger sur l’esplanade des arts, au pied du sanctuaire des martyrs. Plus de 100.000 personnes sont présentes, plus qu’un meeting politique national. C’est la consécration algérienne dans le pays et celle du rêve de Cheb Mami. Signalons qu’en cette année 1999, le chanteur et néanmoins très célèbre Sting, interpréta un duo avec Mami dans son album anglais, c’est l’occasion pour Mami d’avoir encore une reconnaissance internationale. C’est ainsi que ce dernier succès en duo permet aux deux stars (Mami et Sting) de se retourner sur scène à Paris sur la scène de Bercy en janvier 2000, en compagnie de la célèbre chanteuse du Burundi, Khadija Nia, un triomphe… Suite à cela, une autre association de Cheb Mami fera entendre d’elle, c’est la scène en duo qu’il exécute avec la plantureuse Gloria Gaynor et ce dans le désert tunisien, à l’Oasis de Tozeur. Le dernier grand concert de Cheb Mami s’est passé à Essaouira il y a deux ans pendant le célèbre festival des Gnawas d’Essaouira. Une foule de jeunes, les habitants de la ville sont venus écouter, acclamer, fredonner les tubes de ce géant du raï, ce soir en présence de troupes Gnawas du Maroc (Essaouira, Marrakech), de troupes brésiliennes et américaines. Cheb Mami est un ami du Maroc, où sa musique est aimée, où il n’hésite pas à venir nous voir, reste maintenant à ce que peut être il vient faire un grand concert sur la fameuse Place Djamaâ El Fna qui lui réservera un accueil digne des grands chanteurs et peut-être dans le cadre d’un festival que la célèbre place marrakchie abritera un de ces jours. En attendant, Cheb Mami, tu es notre ami à Marrakech, tu es l’ami de ceux qui aiment la chanson, la paix, la tolérance et surtout l’amour qui unit les peuples du monde.

Articles similaires

Chroniques

Israël se rit du monde !!

Un paradoxe éclatant : tout l’Occident apporte son soutien à un État...

Chroniques

Se comparera bien qui se comparera le dernier… !

Toutes les comparaisons ne sont pas dangereuses pour nous et il en...

Chroniques

Un «sacré» ftour pluriel… mon récit

Aujourd’hui le Ftour Pluriel est devenu un rendez-vous phare du vivre-ensemble en...

Chroniques

Aux européennes, le triomphe annoncé de l’extrême droite !

En plus des raisons liées à la personnalité propre de Jordan Bardella,...