Chroniques

Lettre de Marrakech : Dr Herwig Bartels : les adieux marrakchis

© D.R

Marrakech est la ville des rencontres, des congrès et des meetings internationaux car elle offre à son visiteur un charme, un attrait inexplicable. Bien sûr, son climat attire plus d’un, surtout ceux qui décident de passer une grande partie de leur vie ou de leur retraite dans cette ville des « Sept Saints » et dont l’atmosphère, l’architecture et les paysages sont beaux. L’intégration d’un étranger au sein des murs de la capitale ocre du tourisme marocain ne pose aucun problème tant que ce visiteur se sent bien chez lui : la gentillesse des Marrakchis n’est plus un mystère pour personne. Dans nos précédents articles, nous avons parlé des parcours de plusieurs personnalités : politiques, artistiques, du monde des affaires… qui sont venues ici pour s’installer ou de ceux qui reviennent fréquemment comme si leur séjour à Marrakech devenait un pèlerinage dans cet endroit où l’on se ressource, l’on se repose où l’on respire de l’air frais et surtout où l’on se promène sans être dérangé comparativement à d’autres endroits européens, américains… et où, de surcroît, l’on rencontre les amis marrakchis que l’on s’est fait et que l’on aime. Aujourd’hui la personne dont nous avons le plaisir de parler vient malheureusement de décéder après avoir choisi Marrakech comme lieu de retraite et de résidence principale. Il s’agit de mon ami le docteur Herwig Bartels, allemand et ex-ambassadeur de son pays à Rabat jusqu’en 1999. Depuis cette date et ayant été mis à la retraite administrative, il avait décidé d’acheter deux maisons contiguës au sein de la médina pour s’y installer et pour en faire par la suite une belle maison d’hôtes digne de ce nom car respectant la pure tradition architecturale de la ville et de l’art marocain. C’est la maison se trouvant à Derb Moulay Abdelkader Jilali, non loin de la fameuse Place Djamaâ El Fna et portant le nom de « Riad El Cadi ». J’ai eu à connaître le Dr Herwig Bartels dès son arrivée à Marrakech où l’on se voyait de temps à autre pour discuter des problèmes de la médina, de l’architecture locale et surtout du plan d’aménagement de cette vieille ville pour la redorer et sauver les maisons en ruine en les restaurants sans toucher ni à l’âme ni à la beauté d’origine. C’est ainsi que le Dr Bartels s’employa tout d’abord à restaurer son lieu de résidence pour rendre cette grande maison un lieu intime, sympathique et surtout raffiné. Quand on y entre, on sent un arrangement presque parfait, un endroit chaleureux où l’on retrouve la touche diplomatique du décor, des odeurs et surtout d’un protocole, non pas mal placé, mais de réception « classe ». D’ailleurs, l’inauguration de ce bel endroit « Riad El Cadi » a reçu les honneurs qu’il méritait puisque ce jour-là, notre ex-Premier ministre Me Abderrahmane Youssoufi et plusieurs membres de son gouvernement étaient présents ainsi que beaucoup de personnalités étrangères et marocaines. Ceci ne peut représenter que le signe d’amitié que ce monde portait au Dr Bartels, sûrement apprécié pendant son passage comme ambassadeur à Rabat et surtout pour le travail de rapprochement qu’il a effectué entre l’Allemagne et le Maroc. En fait, qui est ce diplomate transformé en Marrakchi et défenseur de Marrakech ? Feu Dr Herwig Bartels est né à Brême en Allemagne le 10 juin 1934 dans une famille honorable pour faire ses premières études dans sa ville natale. Très jeune il a été attiré par la langue arabe si bien qu’à l’âge de dix-neuf ans, il commença sérieusement à étudier notre langue, en même temps que des études de droit. Ses premiers cours, il les a reçus à Freiburg dans son pays pour ensuite les continuer à l’université de Genève puis celle de la capitale française, Paris. Pendant ces quatre années, il se perfectionna en arabe pour venir en 1958 terminer ce cycle d’études à Bonn (capitale de l’Allemagne de l’Ouest en ces moments-là). Il en sort avec un diplôme d’Etat en droit. Ne pouvant s’arrêter à ce stade, feu Dr Bartels ira se perfectionner encore dans la langue arabe à l’université américaine de Beyrouth, mais en même temps, préparer et soutenir une thèse de doctorat en droit sur le thème « Le droit du Waqf (Habous) au Liban ». La soutenance de cette thèse, avec grand succès, s’est réalisée pendant que notre ex-ambassadeur faisait des stages de recherches juridiques à Beyrouth. En 1962, feu Dr Bartels revient dans son pays et obtient son premier poste au ministère des Affaires étrangères de son pays : la République fédérale d’Allemagne. Pendant son travail, il ne s’arrête pas d’étudier pour obtenir encore un doctorat en droit en 1965. Comme déjà signalé, la langue arabe représentait pour feu Dr Bartels une priorité dans sa vie. Aussi il repart à l’université américaine de Beyrouth pendant une année (66/67) pour se perfectionner dans la langue arabe. Il recevra une formation intense d’histoire et de littérature du monde musulman, chose qui lui sera certainement utile pour la suite de sa carrière diplomatique et future. En réintégrant le ministère des Affaires étrangères à Bonn, il sera nommé aussitôt comme consul général de son pays en Égypte. Il y restera pendant deux ans où encore il va tisser des relations avec toute la sphère cairote, ville des Pyramides,du sphinx et anciennement des Pharaons. En 1969, de retour en Allemagne, il occupera pendant quatre ans différentes responsabilités au sein du ministère des Affaires étrangères à Bonn, et ce jusqu’en 1973. A ce moment, feu Dr Bartels va être nommé chef de la mission diplomatique allemande pour un pays du Moyen-Orient, la Syrie. Là encore, à Damas il tissera de grands liens et il en gardera beaucoup de souvenirs et de mobiliers que l’on pouvait admirer chez lui à Marrakech. De sa bonne expérience syrienne, il sera rappelé à Bonn où il est nommé chef de la division « Dialogue euro-arabe » mais aussi chef de la division « Assistance humanitaire ». Ce travail, il l’assumera pendant presque sept ans (1977-1984) où encore des relations excellentes se feront avec plusieurs pays arabes et musulmans. En 1984, feu Dr Bartels sera nommé de nouveau au Caire au sein de l’ambassade comme chargé d’affaires. Il y retrouvera ses connaissances et ses amis avec résultats probants et sérieux. L’année d’après (1985), il est nommé à son premier poste d’ambassadeur chez le Roi Hussein de Jordanie à Amman. Pendant cinq ans, il sera dans les grandes relations entre son pays, la Jordanie et le Moyen-Orient en général. Son travail et sa connaissance des problèmes de cette région, combien chaude, le mèneront de nouveau au ministère des Affaires étrangères de son pays comme directeur pour les affaires politiques du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Pendant quatre ans (90-94) il est au centre de tous les problèmes concernant cette région du monde. En 1994 feu Dr Bartels sera nommé ambassadeur d’Allemagne au Maroc. Je pense personnellement que les gens qui ont connu notre ami à Rabat sauront parler de lui mieux que moi. Mais ce que je sais, mais c’est qu’il a gardé dans notre capitale, Rabat, beaucoup d’amis et de relations solides. Par ailleurs, ayant aimé notre pays, il se décida en 1999 à venir s’installer à Marrakech où il n’a pas cessé de travailler pour la promotion de notre ville et de contribuer pour sa grande relance en faisant cette maison d’hôtes et en y recevant ses amis de part le monde pour les stimuler à devenir, eux-mêmes, ambassadeurs de notre tourisme national et de Marrakech tout court. Notre ami feu Bartels à, en dehors de sa vie diplomatique, fait beaucoup de choses que l’on peut citer rapidement : une contribution à revaloriser le tapis du Moyen-Orient, une conférence internationale sur ces mêmes tapis, en Allemagne à Istanbul, à Londres…, président de la Conférence sur les « splendeurs orientales de l’art islamique à partir de collections allemandes privées », président de la Conférence internationale des tapis orientaux (ICOC) pendant 4 ans, président de l’ICOC sur les tapis nord-africains en 1995 et en 2001 à Marrakech. Mais voilà, en cette année 2003 alors qu’il passait des vacances chez lui en Allemagne, la mort est venue l’emporter subitement, dérobant ainsi un ami et un fin connaisseur du monde arabe, car outre le renforcement des relations politiques et économiques entre l’Allemagne et le Royaume du Maroc, monsieur Bartels s’était consacré durant son séjour au Maroc avec enthousiasme et passion à la culture et à l’art marocain. Il est mort le 2 août de l’été dernier laissant derrière lui Marrakech, son Riad « Dar El Cadi» et surtout ses deux filles. Son choix d’élire domicile à Marrakech n’est que le témoignage de son attachement profond au Maroc et à la famille royale. Il me disait lors de nos différentes rencontres chez lui ou ailleurs : « Le Maroc est un pays extraordinaire, qui a une bonne image de paix, de respect humain et de tolérance grâce à vos Rois et surtout à Sidi Mohammed VI, l’espoir de ce pays ». En ce qui me concerne, je considère que c’était pour moi un privilège et un plaisir de connaître le Dr Herwig Bartels comme ami, comme ex-diplomate et surtout comme un partenaire pour la préservation de l’héritage culturel de notre ville et du Maroc. Sa vie et son travail sont un exemple pour beaucoup à travers le monde et je suis sûr qu’il le faisait avec amour, avec coeur et surtout avec conviction. Son passage ici à Marrakech ne restera pas sans suite car ces deux filles vont certainement continuer l’oeuvre de leur feu père et que Marrakech saura lui rendre hommage. A mon humble avis, « Herwig » beaucoup de gens ne t’oublierons jamais et saches, de là-haut, que ta disparition constitue une perte incommensurable pour les relations maroco-allemandes et pour ceux que tu as appréciés et qui t’aiment aussi.

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