Chroniques

Lettre de Marrakech : Khaled, un habitué de Marrakech

Il est des enfants que l’on surnomme, les enfants terribles, car ils ont réussi des choses par leur pugnacité et surtout parce que leur condition sociale les a poussés à devenir quelqu’un. Si l’on prend le cas du chanteur Khaled, je crois que l’on tombe bien à pic pour dire que ce garçon, né dans les faubourgs d’Oran, un 29 février 1960, représente cette caste de personnages qui ont défoncé la vie afin de réussir et d’avoir un nom. De père garagiste dans un atelier de police à Oran donc petit salarié, Khaled va, dès son jeune âge, s’intéresser à la musique surtout marocaine (j’ai pu le constater moi-même il n’y a pas longtemps pendant l’événement de Khmissa 1999), mais aussi la musique occidentale, celle d’Elvis Presley ou encore celle de Jhonny Halliday. En fait, Khaled, cet Algérien de pure souche de l’Oranais s’est destiné tout seul à la musique qu’il aimait et dont sa famille n’était pas spécialement un milieu favorable pour lui permettre d’évoluer dans ce domaine, à part si on exclut son oncle qui était accordéoniste. A l’âge de 14 ans et à l’insu de ses parents, Khaled allait chanter dans différents lieux de divertissements tels, que les cabarets mais aussi dans les mariages de quartiers avec ses amis au sein d’un groupe : «Les cinq étoiles». Bien sûr, les absences répétées à l’école ont fini par voir notre ami Khaled exclu de l’école. Continuant dans la voie musicale, Khaled dont le vrai nom est Khaled Hadj Brahim, l’enfant du quartier Sidi El Houari d’Oran, va connaître son premier pas en enregistrant la chanson « Trig et Lici », un succès radiophonique qui séduit le public et fait connaître le jeune Khaled. A partir de 1976, Khaled modernise son groupe et son orchestre en introduisant du matériel jusque-là inexistant dans le chant arabe comme le synthétiseur. Cinq disques sont enregistrés : c’est le grand succès surtout chez la jeunesse bourgeoise FLN qu’on appelait «Tchitchi», malgré des textes opposés à la morale ambiante du moment. Ne connaissant pas le milieu difficile de la musique, Khaled va être piraté, sans jeu de mots, lui et sa musique pour ne gagner que des miettes. Les cassettes se vendent partout en Algérie ou à Barbes en France. L’envie d’aller en France pour continuer son parcours musical le prend fort, de jour en jour, car il pense que ce pays est celui de la liberté et des amoureux se promenant la main dans la main. D’ailleurs à Marrakech, il m’avait dit qu’il aimait cette ville où il sentait la même chose. Au Maroc, il se considère chez lui et il a plein de copains. Ce n’est qu’en 1986 qu’il connaîtra la France au Festival du raï de Bobigny près de Paris et notre ami Khaled va rencontrer un certain Jilali Outak qui va aider le chanteur à s’organiser et à avoir une vraie carrière. Son premier tube «Hada raïkoum» sortira très peu de temps après, suivi d’une tournée en France et en Europe. En 1988, Khaled va rencontrer Martin Messonnier qui va l’aider à sortir un album, en collaboration avec Safy Boubella et qui s’intitule « Kutché ». Le succès de Khaled va continuer en Belgique, en Hollande et en Grande-Bretagne mais aussi au Japon. Les problèmes que vit son pays, l’Algérie comme l’intolérance l’obligent à s’implanter en France définitivement. En 1991, il est choisi pour représenter la chanson francophone à l’occasion du « World Sumner Festival » qui a eu lieu à Central Park de New York. La carrière de notre ami Khaled va se préciser et il va devenir le roi du raï en 1992 avec le fameux tube « Didi », premier titre arabe à rentrer dans le Top 50, classement français de référence et des meilleurs tubes. Grâce à ce titre, Khaled se trouve parachuter à la tête des hit-parades un peu partout dans le monde (Egypte, Inde, Arabie Saoudite et même en Israël). Khaled va même dédier à sa ville d’origine une chanson : « Wahrane » dont plus de 1,5 million de disques sont vendus pendant que notre ami continue à faire une tournée internationale qui permet à tous les amateurs du raï d’apprécier les qualités musicales de ce crooner algérien. Peu de temps après, Khaled va sortir un album qui s’intitule : « N’ssi N’ssi » dont un morceau constitue la bande originale du film « Un, deux, trois… soleil» de Bertrand Blier, film tourné à Marseille. Il faut dire que cet album, un grand succès, a apporté une nouvelle approche d’arrangements musicaux, d’introduction du violon du Caire comme au temps d’Oum Kaltoum. Khaled a réussi, mais l’intégrisme religieux omniprésent en Algérie, son pays, lui fait mal, lui qui aime et qui prône, à travers ses chansons, de vivre de manière libre. C’est ainsi qu’en 1994, il va être récompensé par le monde du cinéma, avec le César de la meilleure musique du film et tout de suite se produit à Paris au Zenith qui affiche complet. A cette période, on peut le dire sans hésitation, que Khaled a atteint la notoriété et il a donné au mouvement musical raï, ses lettres de noblesse. Dans la même foulée, aimant la vie, il se marie le 12 janvier 1995 avec la jolie marocaine de chez nous, Samira. La même année, il fut déclaré victorieux du Prix du meilleur artiste-interprète francophone de l’année, prix qui est décerné par 3000 professionnels de la musique et des médias français. Cette victoire, Khaled veut en faire un symbole, il la dédie à tous les jeunes d’Algérie qui font la musique et la culture en général. Les opinions politiques de Khaled sont telles qu’un retour en Algérie semble exclu, aussi et pour clamer la liberté, il fonde une association avec un autre chanteur algérien Idir «Algérie, la vie» et organise un énorme concert au Zenith de Paris où il chante son espoir pour la paix et la liberté dans son pays. Ce jour du 22 juin 1995, la salle était archi-comble. Tout le monde se rappelle du tube «Aïcha» que Khaled sort en 1996 et qui a fait le tour du monde, chanson écrite par J. Jaques Goldman et enregistrée dans le cadre de l’album «Sahra», en France, aux USA et à la Jamaïque. Aussi, le raï prenait des rythmes de reggae. Tout de suite après, c’est l’Olympia qui ouvre ses portes à Khaled qui va aussi tourner dans le film de Zemmouri : «100% Arabica» avec son compatriote et non moins célèbre « Cheb Mami ». Une autre date restera gravée dans la mémoire des Parisiens, c’est celle du 26 septembre 1998 quand Khaled se produisit à Bercy devant 15.000 spectateurs en compagnie de Faudel et de Rachid Taha, chantant chacun seul, en duo ou encore en trio des tubes très célèbres et surtout la fameuse chanson : « Abdelkader Ya Bouâlam ». Un enregistrement live de cette soirée se vend toujours à nos jours pour le plaisir des amateurs du raï. En 1999, Khaled connaîtra la consécration au Canada lorsqu’il se reproduit au Festival de Jazz de Montréal. La carrière de Khaled va se prolonger avec la sortie fin 99 d’un autre album intitulé : « Kenza » du nom de sa seconde fille, dont lequel on retrouve d’autres rythmes que le raï comme la salsa avec « Gouloulha D’Ji» où la musique électronique avec «E’dir E’sseba » c’est un nouveau style du chanteur qui donne à Khaled plus d’amplitude et surtout une forme d’expression nouvelle. Cela lui permet de rayonner dans d’autres contrées comme l’Amérique du Sud où il donne un fabuleux concert à Sao Paulo au Brésil lors du Festival Heineken, avec un succès sans égal. La même année 2000, il perd son père en été et retourne à Alger où il donnera son premier concert dans son pays depuis qu’il l’avait quitté en 1986. Ainsi Khaled retourne aux sources car il a toujours eu envie de chanter devant ses fans nationaux, mais aussi maghrébins. En fait, Khaled que j’ai eu le plaisir de connaître à Marrakech surtout pendant l’événement de « Khmissa » où il était la star de cette manifestation en même temps que le regretté humoriste Elie Kakou. En le côtoyant, j’ai découvert un homme souriant, parlant parfaitement l’arabe dialectal avec un accent bien à nous. Il a beaucoup d’amis marocains qu’il vient voir en privé surtout à Marrakech qu’il aime bien. Durant les soirées passées ensemble, il adore raconter des histoires drôles mais aussi écouter les autres les raconter ce qui provoquait chez lui des fous rires particuliers à lui. Très décontracté, il ne veut s’accorder aucun protocole, au contraire il cherche la présence des gens et le contact humain avec une simplicité exemplaire qui le rend tellement sympathique et nous pousse à l’apprécier encore plus. Comme il avait débuté tout petit et savait combien la réussite nécessite du travail et des difficultés à surmonter, il avait rencontré un jeune marrakchi qui débutait dans la chanson et avait tout fait pour le faire monter sur scène en même temps que lui. La chose fut faite et peut-être, cela était le démarrage d’une carrière promettante du jeune «Ghani» Kabbaj, qui aujourd’hui vit à Paris et connaît progressivement un certain succès. Si Khaled, le sympathique, est aujourd’hui une star internationale, il garde chez nous ce label de chanteur arabe maghrébin, fils de Sidi Houari, le défenseur de l’expression libre, le porte-parole de l’opposition à l’intolérance, un défenseur de l’identité africaine libre, un chanteur qui aime la vie et les valeurs humaines tels que l’avenir, la paix et la tolérance. Ce sont les qualités de Khaled et ses valeurs qu’il transmet à travers ses chansons qui l’ont fait aimer des Marocains qui le qualifient d’ami du Maroc et surtout de Marrakech qu’il affectionne et où ses amis le reçoivent très bien, le considèrent comme un des leurs. Bravo et bienvenue toujours à Marrakech cher ami Khaled.

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