Chroniques

Ne tirez pas sur les ambulants, mais…

© D.R

Je me souviens déjà quand j’étais tout petit, et que j’étais en voiture avec mon père, que Dieu ait son âme, il avait l’habitude de s’arrêter à chaque fois qu’il voyait, au bord de la route ou en plein milieu d’une avenue, un étal de pastèques, d’oranges, de raisins, ou bien – et c’était ses préférés- les  vendeurs ambulants de poulets fermiers, de dindes ou de pigeonneaux.

Il aimait bien marchander avec eux, se souciant peu des klaxons et des embouteillages qu’il causait parfois en s’arrêtant n’importe où et n’importe comment. Il finissait toujours par revenir tout fier avec plein de marchandises sous les bras. En remontant dans la voiture, il nous disait presque à chaque fois «qu’il faut aider ces gens-là parce qu’ils bossent pour leurs familles et pour leurs enfants». Mon père avait tellement d’affection pour eux qu’il y en avait certains qui venaient parfois avec leurs chariots jusqu’à notre maison et frappaient à notre porte pour lui proposer leur marchandise.

Et je ne me rappelle pas qu’il a un jour refusé de le faire même si notre frigo était bondé et notre cuisine achalandée, au grand dam de ma maman qui ne savait plus quoi faire de tout ce surplus. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris le message que mon père voulait nous transmettre, à savoir que ces marchands ambulants avaient besoin de nous et qu’il faut toujours les défendre et être de leur côté.

Je me souviens également qu’à cette époque-là, ils étaient tout le temps pourchassés parce qu’on appelait pudiquement «les forces de l’ordre» dont certains éléments avaient l’habitude de fermer les yeux, moyennant une petite pièce pour eux et un gros billet pour leur chef. Si je vous raconte tout ça, c’est parce que le phénomène a pris depuis une envergure sans commune mesure avec le passé.

En effet, ce qui constituait l’exception pour le commerce formel et ne semblait pas trop le gêner, est devenu aujourd’hui la règle avec, paraît-il, la mainmise de grands patrons occultes qui tireraient les ficelles et profiteraient du système. Je mets tout ça au conditionnel alors qu’il suffit de voir ce que sont devenus des quartiers entiers où il n’est plus possible ni d’y entrer ni d’en sortir ni encore moins traverser.

De vrais souks se sont installés en toute impunité bloquant rues, ruelles et même parfois de grands boulevards comme c’est le cas à Casablanca, Rabat et partout ailleurs. Ce ne sont plus, comme avant, des marchands ambulants itinérants qui se déplaçaient au gré de leur humeur et de leurs clients, aujourd’hui ce sont de grands hyper-marchés archaïques bien installés et bien organisés. Quand je vois ça, j’ai quelquefois froid dans le dos en pensant, par exemple, à un incendie ou tout autre type d’accident, car il serait absolument impossible de faire venir une ambulance ou un camion de pompiers car il leur serait absolument impossible de passer.

Comment est-ce possible qu’autorités publiques et élus aient laissé développer ces marchés d’un autre âge et d’une autre? et sans voir et entrevoir les conséquences très graves qui peuvent en découler ? Il m’arrive souvent d’aborder ce problème avec des amis ou parfois même avec des responsables, et la réponse est toujours la même : «attention, c’est une question sociale». Traduction : si on touche à ça, ça risque de brûler. Bien sûr, il serait hors de question de mettre ces gens dehors, d’un coup et tous en même temps.

Certains ont essayé de le faire et d’autres l’ont même fait, et ils se sont fait, à juste titre, taper sur les doigts. C’est vrai, on n’a pas le droit de mettre fin, du jour au lendemain, à des activités qui permettent à des milliers, voire des dizaines de milliers d’hommes et de femmes, de vivre et de faire vivre leurs familles. Il faut bien réfléchir avant d’agir et proposer des solutions radicales, modernes et à long terme, et faire tout pour mettre un terme définitif aux passe-droits et à tous ceux qui en profitent. Il ne faut surtout pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais si on peut se débarrasser de la saleté, ça serait vraiment bien.

En attendant, je souhaite à tous ceux et toutes celles qui aiment les marchands ambulants, mais qui n’aiment pas ceux qui profitent d’eux, un très bon week-end. Quant aux autres…
Un dernier mot sous forme de devinette pour rigoler un peu : pourquoi nos partis ne se rapprochent de leurs électeurs que quand les élections approchent ?

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