Chroniques

Point de vue : Les chemins pernicieux de l’embrigadement !

© D.R

Les jeunes relégués dans la marginalité sont fragiles et vulnérables et nous envoient à un moment de leur parcours de vie un signal de violence. Les plus remarqués ces dernières années sont le phénomène de «tcharmil», le suicide ou les tentatives d’immigration clandestine, bien souvent, hélas, mortelles…

Permettez-moi, ici, de vous faire partager mon intervention lors d’un atelier organisé par l’Unesco sur le thème de «La lutte contre l’extrémisme violent et la jeunesse», je ne prétends détenir nulle vérité absolue mais du moins puis-je me targuer d’une expérience de terrain au service de nos jeunes et d’une envie totale de permettre à notre jeunesse d’émerger.

Beaucoup de nos jeunes voient la société dans son ensemble comme injuste. Ils ont le sentiment de  subir, d’une part, une violence symbolique, celle d’ institutions et celle émanant de certaines classes de notre société, vécues comme arrogantes et méprisantes et qui exerceraient un pouvoir invisible mais néanmoins oppressant et dominateur sur notre population, il faut dire que certains comportements -ostentatoires dans l’opulence, telles ceux de jeunes issus de «quartiers riches» de Casablanca roulant en décapotable à côté d’un jeune des quartiers défavorisés de cette même ville, sur son vélo, cassé et bricolé- ont un effet dévastateur.

D’autre part, ils vivent un sentiment de «victimisation collective», sentiment de persécution collective propre à une certaine jeunesse des quartiers populaires, qui trouverait en quelque sorte écho dans la «théorie du complot» et une perception cynique du monde social.

Ces ressentiments ne concernent pas seulement la jeunesse marocaine, mais aussi la jeunesse française des banlieues qui vit ou a vécu les mêmes situations.

Le hooliganisme, la drogue, le crime, la délinquance sont autant de formes de violence, que l’on attribue volontiers aux jeunes mais dont bien souvent les adultes sont acteurs, voire recruteurs.

Les parents, éducateurs, enseignants, forces de l’ordre, partis politiques, élus, société civile… doivent se pencher -il est plus que temps- sur les causes de cette violence et y apporter propositions et remèdes, car ces maux mènent hélas dans bien des cas à l’embrigadement qui débouche sur le terrorisme.

La société marocaine, à l’instar d’autres, regorge de signes de violence : la corruption et le mépris ne sont-ils pas eux aussi  une forme de violence ?

Les jeunes relégués dans la marginalité sont fragiles et vulnérables et nous envoient à un moment de leur parcours de vie un signal de violence. Les plus remarqués ces dernières années sont le phénomène de «tcharmil» (le fait de se balader avec un sabre en ville et menacer les passants, voire de les agresser), le suicide ou les tentatives d’immigration clandestine, bien souvent, hélas, mortelles…

D’autres signes de la souffrance des jeunes sont présents qui peuvent déboucher sur cette sorte de fascination de la mort que leur inculquent tous ceux qui cherchent à les radicaliser.

Dans notre environnement, dans notre entourage nous pouvons tous connaître ces jeunes qui petit à petit se transforment en morts-vivants : certains signes physiques de radicalisation doivent vite nous alerter : changement vestimentaire (des uniformes gris : abaya et pantalon court), coiffure, barbe, regard… mais aussi des signes plus profonds dont l’isolement, le repli sur soi et qui commencent souvent par une rupture avec les proches, avec la mère en particulier, le but des «embrigadeurs» étant de couper ces jeunes de toute forme d’amour… pour mieux les déshumaniser.

Pour ces jeunes, la vie n’a plus de valeur : mourir est un acte de gloire. Nous aurions tort de croire que la misère matérielle, en tant que telle suffirait à faire sa place à la radicalisation, c’est tout autant -voire plus- la misère culturelle, le vide intellectuel, l’absence de perspectives qui minent les jeunes.

Les jeunes de nos quartiers défavorisés vivent dans une misère culturelle absolue et un désert affectif cruel.

Dans ce contexte, un discours du type : «tu n’as pas de vie digne de ce nom», «tu es méprisé», «regarde ce que l’on fait de toi», «tu es étranger dans ton propre pays» sont redoutablement efficaces, ne reste plus alors à ces «bouffeurs de cerveaux» qu’à apporter la solution finale : «nous,   nous t’offrons une nouvelle voie, une seconde chance,  celle de réussir ta mort et ta deuxième vie»… mourir «en martyrs» apparaît alors à ces jeunes comme une revanche sur leur vie, sur la société, déshumanisés et hypnotisés qu’ils sont devenus.

Que nous reste-t-il à nous militants associatifs, parents, enseignants pour agir ?

Peu et beaucoup à la fois !

Face à la fascination de la mort il nous faut absolument redonner l’envie de vie, longue et difficile voie mais la seule capable de sauver ces jeunes en perdition.

Quelques pistes ? Selon ma propre expérience et en sachant pertinemment que seules notre absolue bonne foi et notre honnêteté envers cette jeunesse nous ouvriront leur écoute :

– Il nous faut rétablir avec ces jeunes les sentiments qui rattachent à la vie : l’amour, l’amitié, la confiance,

– Il nous faut faire un travail sur la transmission de valeurs où l’argent facile ne serait plus LA solution, où le goût de l’effort retrouverait du sens,

– Il nous faut faire vivre la mixité concrètement, mixité sociale, mixité des sexes, mixité des générations. La construction actuelle de quartiers neufs où  sont «posées» des barres d’habitation sans lieux de vie, sans espaces de socialisation, de culture, de sport… tuent toute forme de vivre-ensemble, tout comme le fait d’éduquer garçons et filles dans un rapport de défiance, d’antagonisme, de force… fait d’eux de futurs adversaires plutôt que d’en faire des êtres complémentaires,

– Il est, enfin, impératif de mettre la culture dans le premier rang des préoccupations et des politiques actuelles, c’est elle qui rattache à la vie, qui enrichit l’âme et ouvre sur l’Autre.

Oh bien évidemment le remède ne peut se limiter à cela, mais commençons déjà par cela et une brèche dans la fascination de la mort sera ouverte !

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