Chroniques

Souvenirs de « Al-Tahrir » (61)

© D.R

Parmi les principaux sujets de discorde avec les adversaires de la libération, celui de la position du Maroc officiel vis-à-vis du retrait des Forces françaises encore cantonnées sur le territoire national, ainsi que la relation entre ce problème et la bataille que le peuple algérien frère livrait pour son indépendance. Il sied, afin de rendre les choses plus claires, de souligner que lors de la réunion du Conseil administratif de l’UNFP, qu’il présida à Rabat, feu Abderrahim Bouabid affirmait, dans le mot qu’il prononça à cette occasion, que ”la question du retrait des troupes étrangères est à la tête des causes nationales pour lesquelles nous luttons. L’accord de retrait que vient de signer le gouvernement (formé après le renvoi du gouvernement Ibrahim, et présidé de fait par le Prince héritier) est pratiquement une reproduction des propositions déjà présentées par la France en 1957 (propositions que le Maroc avait rejetées). C’est un accord qui ne prend pas en ligne de compte une question principale : celle de l’Algérie. Nous n’admettons pas que le Maroc continue de servir de pont aux forces coloniales en route pour ce pays.” Je fis, dans la rubrique Franc-parler du numéro du 18 octobre 1960 de ”al-Raï al-Am”, un commentaire de ces paroles. Il convient de préciser que cette même position des responsables marocains, critiquée par l’article -position consistant à permettre aux troupes françaises de continuer à transiter par notre pays et à l’utiliser comme base arrière pour leurs attaques contre la révolution algérienne- est celle qui déterminera, bien plus tard, celle qu’adopteront les Algériens vis-à-vis du Maroc et de ses provinces sahariennes.
Voici le texte du commentaire :
”Dans l’exposé qu’il présenta devant la réunion, pour la province de Rabat, du Conseil administratif de l’UNFP -exposé dont le lecteur aura trouvé le résumé dans le présent numéro- maître Abderrahim Bouabid montrait combien les causes nationales dans le Maghreb arabe sont liées à la question algérienne, et combien les causes nationales marocaines, notamment celle relative au retrait des forces étrangères, sont liées à la guerre de libération que mène le peuple algérien frère. Au Maroc, certains continuent à regarder la guerre féroce qui fait rage en Algérie, comme étant un problème extérieur au pays, n’ayant guère sa place parmi nos préoccupations nationales, et ne nous concernant que dans le strict cadre du principe de solidarité avec les peuples luttant pour leur indépendance. Six années se sont écoulées depuis que cette guerre meurtrière sévit en algérie. Pourtant, il se trouve encore des gens pour penser qu’elle ne concerne que les seuls Algériens. Les rares fois qu’ils évoquent la cause algérienne, ils le font avec aussi peu d’émotion que s’ils parlaient du Congo ou de quelque autre pays lointain. Ces gens semblent ignorer que de l’indépendance de l’Algérie dépendent celles de la Tunisie et du Maroc, et que sans une Algérie indépendante, il serait vain de parler de l’unité du Maghreb arabe.
La position prise par le Maroc officiel se rapproche de cette ligne de pensée.
La solidarité avec l’Algérie suppose que l’on commence par s’abstenir de nuire aux militants algériens; en faire preuve, c’est faire en sorte que le Maroc ne serve plus de tremplin aux actions dirigées contre la cause nationale algérienne. C’est, pour parler franchement, faire en oeuvre pour que disparaissent toutes les bases, les écoles militaires et les réseaux d’espionnage français qui servent, depuis le sol national, à assener les coups au peuple algérien. Sans cela, il est pour ainsi dire dérisoire de parler de solidarité avec l’Algérie, car la solidarité véritable se traduit par des actes, non par des paroles vaines et oiseuses. Mais tant que durera cette présence militaire française au Maroc – présence sans doute utilisée, d’une manière ou d’une autre, à mener la guerre contre la révolution algérienne- les Algériens seront dans le droit de voir là un signe de complicité marocaine, même tacite, avec les forces françaises d’occupation. L’on nous répondra évidemment que les soldats de libération algériens trouvent un asile sûr sur le sol marocain : on oublie, ce disant, que les soldats français y trouvent également asile, et sans avoir, eux, à se cacher. L’on peut dire donc que la position marocaine vis-à-vis de la cause nationale algérienne est pour le moins vague, pour ne pas dire qu’elle est d’une douteuse neutralité.
Voilà pourquoi nous estimons que toute présence militaire française sur le sol marocain est une franche dérogation, de la part du Maroc, au devoir de solidarité avec le peuple algérien dans sa guerre de libération. Consciente de cette réalité, l’UNFP n’a eu cesse de revendiquer le retrait véritable et définitif de toute force étrangère subsitant sur le territoire national, y compris évidemment les réseaux d’espionnage implantés sous le couvert de l’assistance technique. Tout en étant une nécessité dictée par le principe de souverainté nationale, ce retrait est également un aspect essentiel de la solidarité avec le peuple algérien. Loin d’être un pays étranger, l’Algérie est une partie intégrante du grand Maghreb arabe; la guerre qui s’y déroule est celle de tous les Maghrébins. C’est là une vérité que nous nous devons de ne jamais perdre de vue. L’ignorer, c’est se rendre coupable d’une trahison que l’Histoire ne pardonnera jamais.”

3-Renvoi du gouvernement Ibrahim…
Convaincu de la mauvaise foi de ses instigateurs, le roi Mohammed V décida de mettre fin à la campagne de répression menée contre les résistants. Se rangeant du côté des forces populaires réunis sous le blason de l’UNFP, Sa Majesté assista au festival populaire organisé le 1er mai 1960, et s’exprima à cette occasion devant une foule enthousiasmée par l’adoption des dispositions économiques libératrices. Cette prise de position -coïncidant avec la victoire obtenue, aux élections des Chambres du commerce et de l’industrie, par une UNFP qui préparait déjà les communales- fit enrager les ennemis du parti, qui redoublèrent d’efforts pour faire révoquer le gouvernement Ibrahim. Ce dernier réagit en décidant de se passer des services des policiers français qui, au nom de la fameuse ”assistance technique”, assumaient encore des responsabilités au sein de la police marocaine. Cette décision se heurta à une violente opposition de la part des hérauts de la Troisième force. Il en résultera une crise que ”al-Raï al-Am”, dans son numéro du 19 mai 1960, déplorera dans un article étalé sur trois colonnes de la première page, où l’on pouvait lire : ”Qui finira donc par se retirer, la police française ou le gouvernement Ibrahim?” Le gouvernement ayant réussi à faire adopter la décision relative au retrait des policiers français, ”al-Raï al-Am” récidivera avec un article paru dans le numéro du 20 mai, sous le long intitulé que voici : ”Le gouvernement Ibrahim assainit l’administration de la Sûreté en la débarrassant des éléments français. L’administration de la Sûreté a reçu du gouvernement l’ordre de mettre fin aux fonctions de tous les éléments français, à dater du 1er juillet prochain. Est-ce là la raison pour laquelle on veut la tête du gouvernement Ibrahim?” Dans un article publié le lendemain sous le titre ”Sa Majesté le Roi décide de mettre fin aux fonctions du cabinet Ibrahim”, on put en effet lire : ”Sa Majesté a convoqué Abdallah Ibrahim le 20 ami 1960 pour lui notifier cette décision”.
Cette révocation, survenue une semaine seulement avant l’échéance électorale, sera interprétée comme faisant partie de dispositions préélectorales. Le 24 mai, Sa Majesté fit savoir sa décision de prendre elle-même la tête du nouveau gouvernement, en déléguant ses compétences gouvernementales au Prince héritier. A ce propos, le défunt Roi donna un discours, retransmis par la radio nationale, où il définissait le programme et les objectifs de ce gouvernement : ”Nous avons toujours eu le soin, depuis que la patrie a recouvré son indépendance, de faire en sorte que le gouvernement dont nous dotons le pays compte parmi leurs membres le plus grand nombre possible de représentants des différentes instances politiques du Royaume, afin de leur garantir le plus large soutien parmi les composantes de l’Etat.
Cela n’étant plus possible d’investir telle ou telle partie des responsabilités gouvernementales, nous décidons, mû en cela par le désir de préserver la stabilité du pouvoir et l’unité de la nation, de prendre personnellement les choses en main, et d’exercer le pouvoir par le truchement du Prince héritier. Les seuls critères que nous adopterons pour le choix des membres de ce gouvernement seront la loyauté, la probité et la compétence. Il aura pour mission de poursuivre, sous notre contrôle et selon nos directives, l’application des programmes économiques, politiques et sociaux, que nous avons établis pour consolider notre indépendance et notre saouverainté, et pour satisfaire les aspirations de notre peuple au développement et à la prospérité.”

• Par Mohammed Abed al-Jabri

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