Chroniques

Un vendredi par moi

J’ai eu la semaine dernière à parler d’un aphorisme à l’emporte-pièce qui consiste  à préférer «l’excès de caricature à l’excès de censure». Pour rappel, cette formule a été utilisée par Khalid Jamaï, chroniqueur au Journal Hebdomadaire, en référence au président français, N. Sarkozy, qui en avait usé pour défendre l’hebdomadaire Charlie Hebdo après la publication des caricatures du Prophète Mohammed. L’expression puisée dans l’escarcelle des bonimenteurs politiques n’exprime aucune position de principe mais couvre d’une pirouette la manière dont le chef d’Etat français a surfé sur sa propre opinion publique tout en ménageant avec un minimum de précautions celles des Arabo-musulmans. Traduite, elle suggère que la caricature du Prophète est un excès mais la censurer serait encore plus excessif. Entre deux maux, N. Sarkozy a opté pour celui qui l’ennuie le moins. La formule est à courte durée de vie, une sorte de préservatif, jetable juste après avoir servi. A géométrie variable, sa duplicité donnera toute sa mesure lorsque quelques mois plus tard, Charlie Hebdo licenciera le talentueux journaliste et caricaturiste Siné, un historique de cet hebdo, suite à la publication d’un article ironique, à l’antisémitisme nullement avéré,  sur le fils du président après son mariage avec la fille d’une richissime famille française. L’émotion que suscita le renvoi de Siné ne dépassa guère quelques milieux et on n’assista à aucune sortie dans le genre «un excès de satire est préférable à un licenciement abusif.»
Tout cet amère débat intervient à la suite de la zone de turbulence dans laquelle est entrée la presse marocaine. Que des journalistes d’eau douce, qui en faisaient prendre à chacun pour son grade, miment face à la tempête les roseaux, prête à rire ; qu’un journaliste par contre aille en prison c’est toujours triste et qu’un journal soit fermé ne peut faire de nous que des éplorés. Le dilemme reste entier mais du moment que nous sommes dans une histoire de police et de tribunaux, convoquons Robert Estabrook, ancien correspondant du Washington Post à l’étranger. Pour avoir vu des reporters fabriquer des faits de toutes pièces, il écrit que «les journalistes ne bénéficient d’aucun droit spécial par rapport aux autres citoyens. Dans son code personnel de la bonne conduite journalistique, il a ajouté à l’indépendance, à la  neutralité, à l’objectivité et à  l’honnêteté, un précepte supplémentaire : le souci de corriger les erreurs commises et la volonté d’admettre sa propre faillibilité.» Avec lui, on est loin des postures crâneuses, de l’univers des certitudes sclérosantes et des vérités universelles qui ne souffrent pas le recours. La conscience de nos limites et un brin d’humilité, voilà ce qui nous fait  cruellement défaut dans cette profession où l’on cultive l’excès comme la marque de l’excellence. Or l’excès, qu’il soit de vitesse ou de zèle, de régime ou de cholestérol, est par essence mauvais. En sa compagnie, on n’est jamais loin de l’extrémisme et du fanatisme qui ne sont pas toujours que religieux.  

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