Chroniques

Un vendredi par moi

Une journaliste et un universitaire, Narjis Rerhay et Habib El Malki, un couple très probable, ont tenu le pari de jeter un éclairage sur «La parenthèse désenchantée» * de l’alternance dite consensuelle alors même que l’un de ses acteurs, Habib El Malki précisément, est toujours dans la course. Ce n’est pas souvent qu’un homme politique au Maroc s’exprime publiquement sur une expérience et en fasse l’évaluation, non seulement pour éclairer l’avenir via le passé mais aussi pour laisser une trace écrite d’un fait majeur. En cela les deux partenaires de cette aventure ont réussi leur coup. Très précise, maîtrisant bien son sujet, Narjis Rerhay a su mener le livre entretien avec tact sans pour autant renoncer au tacle afin de sortir le loup de sa tanière. Vigilant, l’ancien ministre de l’alternance puis de la non alternance n’a pas toujours répondu aux attentes de la journaliste qui réclamait des noms. Et justement ce sont des noms qui manquent à ces mémoires avant terme de Habib El Malki. Sauf un ou deux ; sauf quand il s’agit de mettre en valeur l’un ou l’autre des artisans de ce moment de l’histoire du Royaume. On le comprend dès le titre, le tableau que dresse Habib El Malki de l’alternance «inachevée» est en demi-teinte, mi figue, mi raisin, une demi-réussite et un semi échec. S’il vénère Abderrahmane Youssoufi, il n’en pense pas moins. L’ex-Premier ministre aurait été victime des intrigues de son entourage. Certains de ses proches «étaient déconnectés du Maroc profond qu’ils ne connaissaient pas. Ils donnaient l’impression d’être plus sensibles aux applaudissements d’ailleurs qu’aux besoins d’ici.» Celui qui est ainsi ciblé, on l’aura deviné mais on le découvrira dans une centaine de pages plus tard, n’est autre que l’actuel haut commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, dont toute la dimension se résume dans la bouche de l’auteur à huit mots d’une éloquence sans équivoque. Fathallah Oualaâlou non plus n’est pas en odeur de sainteté. Habib El Maliki souhaitait une politique budgétaire volontariste. Abderrahmane Youssoufi qui semble à chaque fois «céder aux chants des sirènes» a préféré reconduire ou laissé se reproduire le discours des gouvernements précédents fondé sur les équilibres macroéconomiques. La campagne marocaine et l’alternance en ont souffert.
Un parfum d’autocritique traverse l’ouvrage. Sans doute Habib El Malki a-t-il raison de souligner que toute la dynamique et les turbulences que connaît le pays découlent de ce processus. Mais il a tort de s’enfermer dans le légendaire égocentrisme usfpéiste en insistant sur la seule centralité de son parti dans toute l’opération. Abderrahim Bouabid est assurément  un immense personnage, Abderrahmane Youssoufi est sans conteste un acteur clé de l’alternance, mais ni le premier n’est l’architecte de la démocratie ni le second son maître d’œuvre. L’alternance consensuelle comme son nom l’indique est une action collective, Feu Hassan II en tête comme le relève par ailleurs l’auteur. L’ancien patron de l’Istiqlal, M’hammed Boucetta, le grand oublié de «la part de vérité» de Malki, n’est pas pour rien dans cette affaire. Ali Yata, le fondateur du parti communiste marocain, un autre oublié, a été, lui, avant son décès en 1997, pour l’alternance ce que le lièvre est pour les courses de demi-fond.

*Edition La Croisée des Chemins

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