Culture

«All Inclusive» ou le bronzage idiot

© D.R

Un à un, les hôtels d’Agadir sont en train de basculer dans le  «All Inclusive» ( Tout compris). Ils étaient cinq l’année dernière. D’ici le 1er novembre 2006, ils seront toute une armée embarquée dans cette formule qui les fera ressembler plus à des villages de vacances, à des clubs fermés  qu’à  des établissements cinq étoiles. Citons pêle-mêle, le Riu Tikida Duna, les  Almohades,  le Beach Club, le Tikida Beach, l’Anezi et l’Agador. Les contrats ont été déjà signés notamment avec les TO allemands, anglais et français.
Plus de 60% de la capacité d’hébergement commercialisable sera ainsi à la totale maîtrise des tours opérateurs étrangers. Une chance, un handicap ? Le problème est complexe.
Dans un contrat All Inclusive standard, le tour opérateur exige souvent de l’hôtelier  une exclusivité totale, tout en bénéficiant, cerise sur le gâteau,   de la maîtrise du chiffre d’affaires en amont. Problème, avec le All Inclusive, le client qui paye sa réservation peut arriver  à l’hôtel sans sa carte de crédit ou sa réserve en devises. Car, tout est «payé d’avance ».
En effet, un bracelet solidement attaché au poignet permet de se restaurer 24 heures sur 24, de boire et de bénéficier de toute l’infrastructure de l’hôtel. Tout est gratuit. Depuis la bière à pression,  le distributeur automatique de sodas, les consommations au piano bar, jusqu’aux déjeuners et petits déjeuners, servis en buffet. L’argent ne circule pas. Certes, la formule est pratique, mais les hôtels qui l’adoptent  se libèrent en général d’une bonne partie du personnel, le All Inclusive se traduisant par une baisse importante du service et surtout du pourboire.
Le client qui arrive fait monter lui-même sa valise dans sa chambre. Autrefois central, le métier de caissier devient subsidiaire, celui de chasseur ou de groomier facultatif.
Dans les salles de restauration, exploitées en buffet, il n’y aura plus huit personnels. «Par rapport à un hôtel classique, un All Inclusive économise jusqu’à 40% du personnel », commente un agent de voyages. Les salaires sont aussi en diminution. L’un des tout derniers établissements à avoir adopté la formule, géré par un vieux de la vieille,  paye son personnel en décote de 30% sur un salaire de quinze ans.
Evidemment, le client qui a tout payé, qui dispose d’un buffet ouvert 24 heures sur 24, n’a pas besoin de voir Agadir, sa culture ou son artisanat, manger dehors ou aller en boîte. D’ailleurs, tous les nouveaux restaurants qui ont acheté des pas-de-porte aux alentours des hôtels en pâtissent.
D’où l’argument des détracteurs de la formule qui l’assimilent souvent à un bronzage idiot. Au menu de la journée du client dans un hôtel, le bar, des jeux de société, et surtout la piscine.
Dans l’opération, le tour opérateur et l’hôtelier en sortent largement gagnants, claironne un adepte du tout-compris. En effet, dans l’hôtellerie classique, la chambre est vendue en BB ( chambre et petit déjeuner) à  350 dirhams en moyenne. Le All Inclusive fait porter la part de l’hôtelier à 700 dirhams. «La rentabilité de l’hôtel est plus intéressante en All Inclusive », poursuit l’opérateur.
Mais attention. Si l’hôtelier jubile, c’est parce qu’il est gagnant. Il  est gagnant contre tout le reste : les taxis, les restaurants, l’animation, et toute la ville. Les 2000 dirhams qu’un touriste dépensait en général durant son séjour dans la cité balnéaire, et qu’il dépensait en visitant l’artisanat, en empruntant un taxi, en dînant dans un restaurant disparaissent avec le All Inclusive. Puisque le client ne sort pas, ces éventuelles dépenses reviennent à l’hôtellerie.
Il faut dire que le cas d’Agadir diffère de toutes les destinations du monde connues pour la pratique du «Tout compris ». A Djerba, l’industrie hôtelière s’en sort gagnante avec ces forfaits globaux, mais contre personne. Idem à Charm El Cheikh ou encore à Cuba, distant de la Havane. Particularité de toutes ces destinations qui ont adopté le All Inclusive il y a une dizaine d’années, elles sont loin des centres urbains et partant ne peuvent être exploitées qu’en circuit fermé. Raison de sécurité certes, mais aussi commodité. L’absence d’infrastructures et d’un centre urbain à proximité impose le All Inclusive.
Evidemment, ce n’est pas le cas d’Agadir. Dans une cité balnéaire vieille de trente ans, et où des investissements énormes ont été consentis dans les infrastructures urbaines, appliquer le All Inclusive revient à tuer les taxis et tous les métiers gravitant autour de l’hôtellerie. L’animation, produit d’un mixage entre le touriste et l’habitant, ne peut qu’être perdant, avec ce système. De plus, renchérit notre interlocuteur, si à Djerba, l’employé d’un hôtel All Inclusive est logé et nourri sur place, avec un salaire décent (puisque ne bénéficiant pas de pourboire, au Maroc c’est tout le contraire.
Prenons l’exemple fortuit du Tikida Beach. Le garçon qui gagnait un salaire plafonné au SMIG (environ 2000 dirhams) pouvait toujours espérer arrondir jusqu’à 7000 dirhams avec les pourboires. Or,  le All Inclusive tue les “tips“. La décote risque d’être sévère. D’aucuns parlent déjà d’un drame social en vue. Contacté sur le sujet, le président du CRT d’Agadir, Said Scally est catégorique : «je ne suis pas du tout contre le All Inclusive. Mais pas à Agadir, pas dans les centres urbains. Cette formule s’adapte bien à Taghazout ou demain à la Plage Blanche, qui ont pour particularité d’être situées toutes deux loin des centres urbains ». Loin des cités, le All Inclusive s’impose de lui-même.
Mais le mal est déjà fait. Après Agadir, une autre ville fait les yeux doux à cette formule. Il s’agit de Marrakech. Deux hôtels de la ville ocre et non des moindres ont signé en catimini avec les TO pour la formule All Inclusive. Cette signature risque de faire boule de neige, même si Mestari Mekki de l’hôtel Eldorador pense qu’un tel produit ne s’applique pas à la destination.
Certes, comme nous a rétorqué doctement un haut cadre du ministère de tutelle, «le commerce est libre », mais a-t-on le droit du jour au lendemain de passer d’une formule d’exploitation à une autre sachant que l’hôtellerie est classée et réglementée suivant des textes rigoureux. Un établissement qui bénéficie d’un classement cinq étoiles –sur la base de critères bien définis- peut-il muer en village de vacances ou en club tout en gardant ces étoiles accrochés à son fronton ?  Un établissement a-t-il le droit de concurrencer certains métiers bien réglementés comme le Transport, un secteur du reste au centre de nombreuses tensions à Agadir actuellement.
En un mot, avec le All Inclusive, on fera plus de recettes moyennes hôtelières, mais presque plus de recettes moyennes dans la ville.

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