Artiste et citoyen

Aujourd’hui le Maroc : Est-ce qu’un artiste a un rôle à jouer pour améliorer la situation des droits de l’Homme dans notre pays ?
Mohamed Kacimi : Certainement ! Et c’est le but assigné à cette exposition. Un artiste n’est pas sourd au monde où il vit. Il lit comme tout le monde les journaux. Il est concerné par les événements. Des sujets comme la liberté d’expression et la misère le touchent dans sa sensibilité. Le besoin de traduire par l’oeuvre ce qu’il ressent s’impose. Un artiste soucieux de réalité finit tôt ou tard par sentir le besoin et le devoir de ne pas ignorer les événements sociaux et politiques qui agitent le monde où il vit. La question des droits de l’Homme est trop importante pour qu’un artiste ne s’y intéresse pas, qu’il s’enferme dans son travail ou non. Un jour ou l’autre, il y sera confronté, parce que personne n’est prêt à sacrifier son espace de liberté aussi réduit qu’il puisse être
Vous estimez qu’un artiste a son mot à dire ?
Et il doit le dire par l’oeuvre. C’est un acte normal. Il ne s’agit pas du militantisme au sens classique du mot : s’engager en faveur d’une cause, rédiger des tracts ou participer à des manifestations. Ce dont il est question, c’est de ne pas assister en témoin indifférent ou peureux aux événements du siècle. Il y a deux postures possible : soit l’artiste est touché par ce qui se passe, soit il regarde faire. J’estime pour ma part qu’un artiste n’a pas le droit de se laver les mains devant les choses qu’il réprouve dans sa société. Mais il ne faut pas oublier que le mode d’expression qu’il choisit pour s’impliquer est formel et non pas expressif. Son implication dans la société ne devrait pas le fourvoyer de son art.
Est-ce que tous les peintres ont réalisé des travaux spécialement pour cette exposition ?
Certains ont peint des tableaux pour l’exposition, d’autres ont contribué avec des oeuvres qu’ils possèdent. Je pense que compte non tenu du fait qu’ils aient peint ou non des oeuvres, le seul fait d’avoir accepté de s’associer à une exposition sur les droits de l’Homme est en soi un acte d’engagement.
Pensez-vous que les artistes peuvent changer le monde ?
Je n’irai pas jusque-là. Ce sont les politiciens et les maîtres du show-biz, d’ailleurs cela revient au même, qui ont une influence sur le monde où nous vivons. L’artiste a pour lui la force motrice de la révolte.
L’injustice m’insupporte plus que tout. J’ai mes oeuvres pour faire taire mon agitation face à une situation qui m’est intolérable. Je pense agir comme beaucoup. Donc, nous n’avons pas l’ambition de changer le monde, mais de crier par nos oeuvres quand le cours de ce monde pèche par son inhumanité.
Comment évaluez-vous la situation des droits de l’Homme au Maroc ?
Personne ne peut contester qu’il existe des ouvertures. Il y a une nouvelle conscience de la part de la société civile. Nous essayons tous de nous débarrasser d’un héritage historique embarrassant. Il y a donc un progrès louable. Si je m’en félicite, je tiens à souligner que cette liberté d’expression ne peut s’exercer indépendamment du droit.
Sans droit, il n’y a pas de liberté d’expression. Du moment que les lois des droits de l’Homme sont votées par la société, elles sont légitimes, et il n’y a pas de raison pour certains ne s’y conforment pas. Quand vous participez à l’élaboration d’une loi, vous êtes tenu de la respecter.