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Assia Belhabib : «Les livres d’Abdelkébir Khatibi sont pour la plupart aujourd’hui épuisés !»

© D.R

Assia Belhabib, professeure de l’enseignement supérieur à l’Université Mohammed V et critique littéraire

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La Pr. Assia Belhabib vient de prendre part à un colloque dédié à l’intellectuel Abdelkébir Khatibi. Dans cet entretien, tout comme dans l’événement, elle appelle à rééditer ses œuvres. Elle s’exprime également sur l’apport du défunt à son parcours.    

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ALM : Vos interventions se sont articulées autour du devenir et des paradoxes ainsi que de l’intranquillité du sens. Pourriez-vous nous expliquer la raison de vos deux approches pour participer à un événement dédié à Feu Khatibi ?

Assia Belhabib : Je souhaiterais débuter mon propos en rendant hommage à l’Académie du Royaume du Maroc qui, en la personne de son secrétaire perpétuel, Abdeljalil Lahjomri, a organisé le colloque international «Abdelkébir Khatibi, quels héritages ?» les 20, 21 et 22 mars, en commémoration du dixième anniversaire de la mort de notre grand écrivain et intellectuel Abdelkébir Khatibi, décédé le 16 mars 2009. Ce colloque a été initié par le comité scientifique et d’organisation qui a veillé à associer à cette belle et féconde rencontre des écrivains, des universitaires, des psychanalystes venus du monde entier. Le Japon, la France, la Tunisie, les Etats-Unis et le Maroc étaient dignement représentés grâce à la participation d’éminents orateurs tels que Jalil Bennani, Mustapha Bencheikh, Fethi Benslama, Nao Sawada, Lucy Mc Neece, Rita El Khayat, Ahmed Boukous, René de Ceccaty, Martine Mathieu-Job, Francis Claudon, Abdeslam Benabdelali, Mohammed Cheikh, Raja Ben Slama et Nabil El Jabbar, toutes et tous connaisseurs de l’œuvre imposante, par sa qualité et sa diversité, de Khatibi. La conférence inaugurale a été prononcée par le poète syrien Adonis, ami de longue date de Feu Abdelkébir Khatibi. En ce qui me concerne, j’ai voulu insister, lors de l’introduction au colloque, sur deux points : la nécessité de revisiter l’œuvre de Khatibi et l’urgence de ne pas laisser tomber dans l’oubli un auteur incontournable et pérenne à condition que l’édition marocaine et étrangère le réédite.

C’est un devoir de mémoire et d’actualité pour que les générations montantes, qu’elles soient marocaines ou d’autres pays, découvrent le travail de ce penseur transfrontalier et je dois dire visionnaire. Ses livres sont pour la plupart aujourd’hui épuisés ! Il faut impérativement les rééditer sous format papier et électronique pour coller à la demande de la modernité des moyens de communication. Dans mon intervention que j’ai intitulée «L’intranquillité du sens», en reprenant le néologisme de l’écrivain portugais Fernando Pessoa, j’ai cherché à expliquer que le sens d’un écrivain, puisse-t-il être un écrivain compatriote et fier de son appartenance au Maroc qu’il a défendu durant plus de trente ans d’écriture, est aussi un écrivain international et si son œuvre continue de nous parler c’est parce que les thèmes qu’elle aborde, dans les fictions comme dans les essais, questionnent et agitent les consciences. L’intranquillité réside dans la résistance de cette lecture exigeante mais aussi dans la réflexion complexe qu’elle traduit en mots et en actes à réaliser.

Avez-vous réellement connu le défunt de son vivant ? A-t-il eu un impact sur vous ?

Cette question réveille des souvenirs heureux de plusieurs années d’accointance avec un homme généreux de son savoir et une fréquentation assidue d’une œuvre qui m’a séduite dès mes premières lectures et que j’ai suivie avec curiosité intellectuelle jusqu’à l’opuscule, «Le Scribe et son ombre», publié quelques mois avant le décès de son auteur. Ce fut et c’est encore, dans ma mémoire de lectrice et de commentatrice, une réjouissance de chaque page à découvrir et à relire. L’œuvre est inépuisable et c’est le propre de tout écrivain inventif qui n’écrit pas dans l’urgence mais pour la postérité. Je suis reconnaissante à Abdelkébir Khatibi de m’avoir guidée sur ses chemins de traverse susceptibles de nourrir l’humanité que chacun de nous doit entretenir pour ne pas perdre de vue ce qui constitue l’essentiel de nos existences.

Est-ce que Feu Khatibi était féministe ?

Abdelkébir Khatibi n’était pas un féministe au sens engagé et polémique que l’on peut donner à ce terme. Il respectait la place et le travail des femmes dans la société marocaine en particulier, donnant souvent en exemple les avancées réalisées ici et là pour permettre plus d’équité dans les droits et l’estime de celles qui participent aux progrès du pays. Son engagement sur le plan intellectuel consistait à encourager les initiatives des femmes universitaires et écrivaines de tous bords, les faisant connaître, les soutenant pour la publication, s’associant à certains travaux de correspondances, rédigeant les préfaces de leurs livres, les invitant à prendre la parole dans les manifestations ou les émissions télé auxquelles il était invité. Les exemples de femmes sont nombreux. Pour éviter de froisser celles que j’oublierais de citer, je préfère par prudence ne donner aucun nom. J’ai moi-même été souvent sollicitée par Khatibi. Je dois dire que quand Khatibi vous fait confiance, il faut mériter et être à la hauteur de sa confiance. C’était sa façon de soutenir les femmes, mais surtout les femmes agissantes. Car l’égalité passe aussi par l’égalité des chances et la volonté et la persévérance à donner le meilleur de soi. C’était l’éthique principale de Khatibi et sur ce point, il ne transigeait ni avec lui-même ni avec les autres qu’ils soient femmes ou hommes, Marocains ou d’une autre nationalité.

Le défunt était-il en avance sur son temps ?

Votre question me ramène à l’intitulé du colloque international qui était la pierre de lance de la note de présentation et le sujet sur lequel les intervenants ont partagé leurs appréciations d’une œuvre, je le rappelle riche et transdisciplinaire. Quels héritages nous livre Khatibi à travers son travail ? Qu’en reste-t-il ? L’héritage intellectuel est contrairement aux biens matériels un patrimoine non quantifiable et c’est ce qui rend le legs vulnérable car à mériter ! Khatibi était difficile à suivre de son vivant ; il se chargeait de le répéter à ceux qui montraient une forme de paresse intellectuelle. Aujourd’hui, il n’est plus là pour défendre son travail que, du reste, il n’expliquait pas. Il ne voulait pas se transformer en traducteur de ses idées. C’est une façon de vous dire, qu’en effet, Khatibi était en avance sur son temps et sûrement sur sa société. Notre devoir, quelle que soit la discipline à laquelle nous nous rattachons, est de faire l’effort de lire ses ouvrages, au gré de nos choix et du hasard, et de laisser notre esprit écouter ses idées. Elles sont pénétrantes et bien souvent avec un effet d’annonce dont on ne juge l’efficacité que lorsque la réalité nous rattrape.

Plusieurs penseurs estiment que Khatibi est un intellectuel de haut calibre. Faut-il ressusciter sa pensée au moment où nous sommes dans une ère plus moderne ? Et quel serait l’apport de sa pensée pour le Maroc ?

Pour le Maroc, comme pour le monde, Khatibi est un auteur incontournable, un penseur qui se méfiait des concepts ; il préférait parler de notions. Certains de ses livres ont été traduits dans différentes langues, pas nombreuses ; il faudrait les traduire dans plus de langues pour espérer communiquer avec plus de cultures. C’est une œuvre de civilisation internationale, à partir du territoire marocain mais qui sait se faire entendre au-delà de nos frontières et par-delà le principe de la spécialité dont il se méfiait également. Son point de vue marocain et plus généralement maghrébin qui écrivait en français, avait le souci d’être au plus près des préoccupations de nos sociétés aussi bien sur le plan spirituel, philosophique, artistique, politique, littéraire que sociologique. Il ne faut pas prendre le risque de ranger cette pensée essentielle parmi les reliques de l’histoire car elle permet encore et toujours d’interroger notre actualité en l’éclairant par les erreurs du passé afin de préparer un monde meilleur pour les générations futures. C’est l’esprit qui a régné tout au long du colloque organisé par l’Académie du Royaume du Maroc en hommage à cette figure emblématique afin de continuer de faire vivre son œuvre, à mes yeux, intemporelle.

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