Culture

Azemmour, une ville sans vie

© D.R

«Moulay Bouchaïb n’est pas un voleur», hurle, hors de lui, un vieux RME, à la face d’une foule de pèlerins, le regard interrogateur. Qu’est-il arrivé à cet homme venu, en compagnie de ses filles, de l’autre côté de la Méditerranée, invoquer la «baraka » du saint-homme ? «Rien de vraiment grave», répond, impuissante, sa fille benjamine, la plante des pieds à même le sol». En entrant dans le marabout, j’ai pris le soin de laisser mes chaussures sur le perron. Quelques minutes plus tard, je me rends compte qu’on me les a volées», explique-t-elle, le regard inoffensif, avant que vrombisse le moteur d’une voiture familiale immatriculée  en France.
Fou furieux, le père ordonne à sa fille de monter rapidement à bord. Au grand dam de cette fille venue, mercredi 17 mai, solliciter «Moulay Bouchaïb», un saint d’Azemmour dont la «baraka» est, pour nombre de femmes stériles, synonyme de fertilité. «La baraka du saint s’est envolée», lâche le père de famille, au grand désarroi du commun des pèlerins sur place dont certains ont crié au «blasphème». Abdelmjid. B, un habitant d’Azemmour, ne l’entend pas de cette oreille. Si ce riverain, instituteur de son état, veut bien croire aux vertus (thérapeutiques) du saint homme, « l’un  des grands symboles du soufisme dans le Maghreb», il sursaute à l’idée que ce lieu de pèlerinage soit devenu synonyme de superstition et autres pratiques non-recommandables. Abdelmjid B. en veut pour preuve et exemple l’épanouissement (préoccupant) de la prostitution. Dans les ruelles sinueuses de Moulay Bouchaïb, le visiteur est, en effet, confronté à toutes sortes de harcèlement. La floraison du trafic de la chair peut-il se réduire à sa simple expression superstitieuse ? Younès R, 21 ans, y voit «l’effet incontournable de la pauvreté» qui règne à Azemmour. Né à Casablanca, à Derb «El Foqara» (Derb Sultan), il a aujourd’hui de la peine à imaginer «ce que je suis venu faire ici». «Vivre à Derb El Foqara, à Casablanca, aurait été plus clément que la mort à petit feu que je subis ici, avec mes quatre frères diplômés et néanmoins désœuvrés», dit-t-il, le regard sombre.
Plus sombre encore, est le tableau qu’offre Azemmour aujourd’hui. Après avoir roulé, depuis Casablanca, pendant près de 80 kilomètres, on fait un détour brusque sur un semblant de pont, dont le mérite est d’avoir survécu à tant d’années de négligence. Seule consolation face à ce spectacle hideux : le reflet doré du soleil sur l’embouchure d’Oum Rabii. Le fleuve vous prend à la gorge dans une sensation de fraîcheur inouïe. Des deux côtés du fleuve, une ribambelle de marmots sautent du haut de plongeoirs de fortune. Sur les rivages, les vaguelettes de la «Mère du printemps» viennent bercer quelques felouques, avec à bord quelques quidams qui s’apprêtent à se lancer dans la pêche… à l’alose.
Le roucoulement de ces vaguelettes rappelle, curieusement, le soupir de ces deux amoureux que furent Moulay Bouchaïb et Lalla Aïcha El Bahria. M. Habouli, un gardien du marabout de Lalla Aïcha El Bahria, croit dur comme fer à cet amour qui donna naissance à l’une des légendes les plus vivantes. «Venue d’Irak chercher, à Azemmour, son élu du cœur, Lalla Aïcha El Bahria apprit, à sa grande surprise, qu’il était mort», conte-t-il. Et d’ajouter : «la légende veut que les larmes qui n’avaient pu tarir les yeux de Lalla Aïcha El Bahria avaient réussi à remplir le fleuve d’Oum Rabii.
Un déluge se déclencha subitement, et cette femme amoureuse fut emportée par ses propres larmes. Morte, elle fut enterrée au delta d’Oum Rabii».  Le marabout, qui fut construit en hommage à cette personnalité mythique, est aujourd’hui un lieu de pèlerinage. Des filles, désireuses de mariage, viennent, des quatre coins du Royaume, invoquer la «baraka» de cette «femme  sainte».
Un très beau mythe est né dans la réalité des eaux de ce magnifique estuaire. D’un bleu foncé, le fleuve rappelle le passé maritime d’une ville. Aujourd’hui, que reste-t-il de ce passé doré ? «Plus rien ou presque», martèle un chauffeur de taxi. Juchée sur un promontoire rocheux, Azemmour est, à présent, à l’image d’un funambule trop peu sûr de lui.
L’ancienne médina, qui fut un véritable chef-d’œuvre architectural, menace de crouler. Cette médina, qui comme  l’avait si bien décrite Zimmermann,  «apparaît périlleusement accrochée dans un désordre pittoresque d’une blancheur exquise à l’œil, sur le faîte d’une falaise abrupte (…)», est tombée de si haut. Le nom «Azama», que prêtèrent les Carthaginois à cette médina, à l’époque de l’invasion romaine, a une consonance arabe qui en dit long sur la Crise qui frappe, sans pitié, ce que l’on peut appeler un «monument-document».  A l’entrée de cette médina, surplombant l’embouchure  d’Oum Rabii, le visiteur est accueilli par… des bacs à ordures (.) L. M, éboueur jdidi muté à Azemmour à son corps défendant, y trouve un acte d’inhospitalité indigne de la générosité légendaire de cette ville. «Cet acte est loin d’être le fruit du hasard», admet son collègue.
A preuve, sur le seuil de chacune des trois portes de l’ancienne médina (Bab El Fouqani, Bab El Qasba et Bab El Makhzen), des déchets ménagers s’exposent à l’air libre. Passé ce cap, une fois au cœur de la médina, le visiteur a l’impression que le sol se dérobe sous ses pieds. Les allées donnent le sentiment d’avoir été bombardées. Comme le prouve la rue nommée «Zenkat El Fernatchi». «Il faut avoir appris l’art du patinage artistique pour ne pas se trouver le pied dans une fosse», ironise Abdellah. M. Un autre riverain pousse la plaisanterie un peu plus loin, en inversant la tristement célèbre appellation «Mur de Berlin» qui devient «les trous de Berlin» ( !). Dans cette rue, point noir de l’ancienne médina, plusieurs maisons avaient déjà croulé sous l’effet de l’indifférence. «Comme  si cela n’a pas suffi, des agents d’autorité sont venus ce matin couper le robinet de la seule fontaine que nous possédons», s’insurge Ahmed, un sexagénaire. «Où est-ce qu’ils veulent qu’on aille chercher de l’eau pour nos enfants ?», s’interroge-t-il, perplexe. Du côté des autorités, cette mesure s’inscrirait dans le cadre de la réhabilitation de l’ancienne médina. Un grand panneau, érigé à l’entrée, renseigne sur le projet qui bénéficierait à 1000 familles. Les remparts, devenus des pissotières ( !), font également l’objet de plusieurs travaux de restauration.
Ces efforts sont pourtant loin de satisfaire une population privée de tout. Mimoun, un jeune artiste plasticien, a du mal à trouver un cadre où il pourrait nourrir sa vocation. Et de déplorer le manque d’intérêt à l’égard de la jeunesse.
«Pas de terrains de sport, ni d’espaces d’animation culturelle, ou artistique», énumère-t-il, assénant, par la même occasion, que le Parc d’Azemmour, seul point de rencontre entre jeunes, est squatté par les laissés-pour-compte. Et Dieu seul sait combien il y en a. «Voulez-vous siroter un verre de thé tranquillement dans un café, vous êtes assaillis par un bataillon de clochards vous demandant, qui une clope, qui une goutte de boisson, qui une pièce de monnaie…
On ne sait plus où donner de la tête», se révolte un jeune étudiant. Révolte compréhensible chez des jeunes qui manquent, affreusement, du strict minimum  de conditions d’épanouissement. Plusieurs d’entre eux ont, d’ailleurs, été obligés d’abandonner leurs études, à défaut de moyens. Fouzia, étudiante en littérature arabe, fait du commerce pour payer les frais de déplacement à la Faculté d’El Jadida.
Pour cette fille, âgée de 21 ans, la vie à Azemmour, «ville de mes racines», est devenue insupportable. «Je pense sérieusement à fuir sous peine d’avoir à subir, un jour, le sort insoutenable de plusieurs jeunes qui ont mal tourné», dit-elle, le pouce sur la tempe, comme pour chasser un mauvais destin. En effet, le vide, «la mère de tous les vices», que vivent ces jeunes a engendré un taux de délinquance très élevé à Azemmour. Trafic de stupéfiants, prostitution, vols, viols, et autres pratiques ponctuent le quotidien d’une population livrée à elle-même. Tournure aussi dramatique qu’étrange, sachant bien qu’Azemmour  fait partie de l’une des régions les plus riches du Royaume : Doukkala-Abda. Mais voilà, beaucoup d’habitants d’Azemmour pensent qu’El Jadida, la capitale des Doukkala, a asphyxié leur ville.
Le gros des projets, qui auraient été programmés à Azemmour, ont été délocalisés à El Jadida. Et pourtant, ce ne sont surtout pas les projets qui manquent dans cette ville. Dotée de nombreuses zones industrielles, dont le grand complexe Jorf Lasfar, El Jadida absorbe également le principal des infrastructures touristiques. Ses côtes, de loin mieux équipées que celles d’Azemmour, absorbent le principal du flux touristique. Pour s’en rendre compte, il suffit de penser à l’attrait irrésistible qu’exerce la station de Sidi Bouzid.
Découragés par le degré de pauvreté d’Azemmour, ajouté à l’absence notable du minimum   d’infrastructures hôtelières, plusieurs investisseurs se dirigent vers El Jadida. Une situation qui a valu que, aujourd’hui, on a deux villes voisines qui fonctionnent à deux vitesses. «El Jadida a volé la vedette à Azemmour, qui ne manque, pourtant, pas d’atouts». Encore faut-il savoir les mettre en valeur…         

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